Les territoires : fers de lance de la reconquête industrielle
La crise sanitaire a mis sur le devant de la scène les conséquences des plans de désindustrialisation pharmaceutique des dernières décennies. Les intervenants de la troisième table ronde de la web-conférence des Assises de l’Avenir sont venus affirmer que la reconquête industrielle passera par les territoires.
En 2015, la Saône-et-Loire faisait face à un double constat : 50 % de ses médecins généralistes étaient en âge de prendre leur retraite, et la population du territoire était âgée et avait des besoins médicaux réels. André Accary, président du département, s’est rapidement imposé comme partie prenante d’une nouvelle dynamique afin de bâtir un projet médical pour créer un centre de santé départemental et attirer les médecins. Il est venu partager sa satisfaction ce mardi 4 mai aux Assises de l’Avenir, co-organisées par Pharmaceutiques et le cabinet de conseil Asterès : « Depuis 2018, 78 médecins généralistes sont revenus s’installer, et la population est à moins de 15 minutes des centres de consultations. » Il assure que cette dynamique sur l’offre de santé est un atout supplémentaire pour l’attractivité d’un territoire. Cédric Arcos, maître de conférences à Sciences Po Paris et directeur général adjoint au conseil régional d’Ile-de-France, insiste sur la nécessaire transversalité entre R&D, santé numérique, production pharmaceutique, politique du médicament, universités…
Des carences exacerbées par la crise
David Simonnet, pdg d’Axyntis, société créée en 2007 par la reprise de sites industriels existants, rappelle que la France a massivement désindustrialisé sa production de chimie fine depuis 20 à 30 ans, essentiellement vers l’Asie qui produit aujourd’hui 80 % des principes actifs pharmaceutiques. Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée à l’Industrie, cite quelques chiffres accablants : entre 2005 et 2015, la France a perdu la moitié de sa part de marché industrielle et est passée de la première à la 4e place européenne en termes de production pharmaceutique. « Le choix comptable de l’enveloppe du médicament a tiré les prix vers le bas avec pour conséquence que le marché de l’Allemagne est deux fois plus important que le nôtre », regrette-elle. Alors que seulement 17 % des produits thérapeutiques majeurs sont aujourd’hui produits dans l’Hexagone, 1 500 ruptures d’approvisionnement ont été dénombrées durant la crise sanitaire que nous vivons.
Des territoires agiles
« Nous avons besoin d’établir un partenariat entre l’Etat et ses territoires, en nous appuyant sur leurs complémentarités, afin de déterminer une politique industrielle de long terme en matière de santé, assure Cédric Arcos. La France doit assumer sa vision régionale et territoriale, comme le font ses voisins européens. » L’Etat a ainsi identifié une liste de 20 produits de santé majeurs sous tension destinés à lutter contre le Covid-19 et ses variants et qui nécessitent une relocalisation stratégique. Il a confié aux régions le plan de financement via l’appel à manifestation d’intérêt (AMI) Capacity Building. Axyntis a remporté les huit APP sur lesquels il s’est positionné. David Simonnet estime qu’« il est possible d’accroître de 50 % environ nos capacités d’ici à 2024, ce qui permettra d’absorber à peine 10 % de ce qui a été délocalisé en Asie ces dernières décennies. » L’AMI doit notamment permettre de soutenir les investissements nécessaires à la production des vaccins contre le Covid-19. Florence Agostino-Etchetto, directrice générale de Lyonbiopôle, estime que « notre souveraineté doit permettre un approvisionnement des produits sensibles, sans perdre de vue notre capacité à répondre aux enjeux de santé publique à plus long terme. Si certains choix stratégiques de développement ont été liés à la globalisation, la crise rend aujourd’hui leur place aux territoires », observe-t-elle. Elle salue leur agilité et prône pour que le changement impulsé le soit dans la durée. La ministre Agnès Pannier-Runacher donne pour objectif ambitieux à la France de redevenir la première nation européenne innovante et souveraine en santé d’ici à 2030.
Juliette Badina