Médicament : les voies de la reconquête
Au-delà des réformes engagées, la reconquête industrielle sera avant tout conditionnée par l’évolution de la doctrine budgétaire. Les représentants du secteur pharmaceutique sont formels : il n’y aura pas de relance sans croissance. La pluriannualité sera également un élément déterminant pour stimuler l’investissement.
Inspiré par la pandémie, le constat ne souffre aucune contestation : les industries de santé seront un secteur d’activité stratégique pour la reprise économique de la nation, dont l’indépendance sanitaire apparaît aujourd’hui menacée. Signe du temps, la reconquête industrielle est une ambition affirmée au plus haut niveau de l’Etat. Dans le prolongement du plan France Relance, le nouvel accord-cadre y consacre un chapitre entier. Totalement inédit, il autorise désormais la prise en compte des investissements industriels dans les mécanismes de fixation et de révision des prix des médicaments. Devenue critique, la thématique fera inévitablement partie des axes prioritaires du CSIS 2021 et du CSF « industries et technologies de santé ». Organisées par Asterès et Pharmaceutiques, les premières Assises de l’Avenir ont permis de dresser un bilan circonstancié des différents chantiers initiés. Toute proportion gardée, la politique conventionnelle en sera le fil conducteur. Au cours des trois prochaines années, elle se concentrera principalement sur deux sujets connexes : la reconnaissance de l’empreinte industrielle et la valorisation de l’innovation. « Nous devrons favoriser l’arrivée des thérapies les plus innovantes, tout en sécurisant l’approvisionnement des produits jugés essentiels », confirme Philippe Bouyoux, président du CEPS. Une volonté en grande partie dictée par la lettre d’orientation ministérielle, qui lui a été adressée en amont de la phase finale des négociations avec le Leem. « Notre action sera guidée par des objectifs de santé publique, notamment en matière d’accès aux soins, dans une logique temporelle plus longue et plus lisible. Nous ne pourrons pas négliger pour autant les impératifs d’efficience. Il nous appartiendra de composer avec le périmètre budgétaire délimité par le Parlement », détaille-t-il.
Dynamisme et holisme
Plutôt satisfaits des avancées contenues dans l’accord-cadre, les industriels se montrent néanmoins prudents. Hautement stratégique, la problématique des délais d’accès au marché devra être impérativement résolue. « Ce texte comporte des dispositions techniques susceptibles d’accélérer la mise à disposition des traitements innovants, mais elles ne suffiront pas à rétablir l’équilibre », commente Philippe Lamoureux, directeur général du Leem. Qu’importent les progrès affichés dernièrement, la France souffre toujours de la comparaison avec ses voisins européens : « Il faudra probablement s’inspirer des pays les plus performants comme l’Allemagne ! » Une gestion plus dynamique des procédures d’évaluation pourrait partiellement combler les écarts constatés. « Pourquoi ne pas imaginer un système où les médicaments seraient libérés dès l’avis de la Commission de la transparence ? Simple et efficace, ce serait un schéma globalement comparable à celui de l’accès précoce », suggère-t-il. Autre défi posé : certains protagonistes sont pour l’instant exclus du champ des réformes. Positionné sur un marché tributaire des échéances brevetaires, Biogaran ne dispose pas de la moindre usine. Le laboratoire travaille quasi-exclusivement avec des façonniers, majoritairement implantés en France et en Europe. Malgré les emplois créés et des niveaux de stock supérieurs aux seuils fixés, il se trouve actuellement dans un angle mort. « Il faut bâtir une politique industrielle plus holistique et plus inclusive. L’innovation ne doit pas être la seule boussole de la décision sanitaire », estime Jérôme Wirotius, son directeur général, non sans évoquer l’impact médico-économique des génériques et des biosimilaires, dont le potentiel est « largement sous-exploité en ville ». Preuve par l’exemple, le maintien d’un dialogue constructif avec les pouvoirs publics sera un paramètre décisif dans le processus de transformation à l’œuvre. Plus ouvert, le comité de pilotage de la politique conventionnelle sera un cadre tout désigné pour expérimenter de nouvelles modalités opérationnelles.
Planification et anticipation
Une fois encore, la difficulté tiendra à concilier les engagements politiques et les arbitrages budgétaires. « Il n’y aura pas de relance industrielle sans une progression réelle et durable des dépenses liées aux médicaments. La croissance du marché pharmaceutique hexagonal sera un facteur d’attractivité et de compétitivité majeur », assure Philippe Lamoureux. Ce sera aussi l’un des principaux déterminants de l’investissement. Dans cette optique, les représentants du secteur réclament un mode de régulation adapté pour planifier leurs activités. La réforme de l’Ondam pourrait directement y contribuer. Dans un avis récemment publié, le HCAAM formule une proposition disruptive, soit une programmation quinquennale des ressources nécessaires pour atteindre des objectifs de santé explicites et partagés. Plus transparente, la mécanique générale considèrerait davantage les besoins de la population. Parmi d’autres d’obstacles, la maîtrise de l’incertitude sera un élément clé. « Une part variable devra être provisionnée pour absorber l’imprévu thérapeutique, épidémiologique ou économique. Cette masse budgétaire annuelle ne devra pas être utilisée pour combler un déficit structurel. Si elle n’est pas consommée, elle devra être automatiquement reportée », insiste Sandrine Bourguignon, directrice des études en vie réelle d’IQVIA France. L’anticipation et la planification ne feront pas tout. Tôt ou tard, la délicate question du financement devra être réglée. « La santé ne doit plus être confisquée par les experts et les sachants. Elle doit se dédouaner des aspects purement techniques et budgétaires. Elle doit être traitée comme une politique publique à part entière, au même de titre que l’éducation ou la défense. Elle doit surtout bénéficier de moyens supplémentaires et pérennes pour garantir la solvabilité de notre système de protection sociale », recommande Jean-Carles Grelier, député LR de la Sarthe. Au-delà des prochaines annonces, la LFSS 2022 sera le véritable marqueur du renouveau industriel français.
Jonathan Icart