Maladies infectieuses / Nouveaux risques infectieux : une nécessaire approche plurisectorielle
Les intervenants de la troisième table ronde du colloque « Maladies infectieuses », organisé le 10 juin par Pharmaceutiques, ont plaidé pour un décloisonnement des approches de prévention, préparation et réaction face au risque épidémique, en adoptant une vision One Health.
75 % des maladies infectieuses humaines sont d’origine animale. Mais peut-on prédire où, quand et comment elles émergeront ? Mission impossible, tant ce risque, bien réel, repose sur une multitude de facteurs, rappelés par le Dr Monique Eloit, directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) : la mondialisation des échanges et déplacements des personnes, produits et animaux ; l’extension des zones urbaines et agricoles qui envahissent l’habitat naturel des espèces sauvages et « chamboule l’équilibre des écosystèmes » ; et naturellement, le changement climatique… Tout en saluant les nombreux travaux sur la modélisation de l’impact de ces variations climatiques sur les maladies connues et moins connues, Serge Morand, écologue de la santé (CNRS) et directeur de recherche au CIRAD (1), souligne toute la difficulté d’anticiper l’accélération des événements. Sa stratégie : essayer autant que possible de travailler sur des facteurs liés à l’émergence et à la transmission qui soient pertinents à différentes échelles. « La santé des écosystèmes est vraiment la clé de démarrage pour une bonne santé animale et une bonne santé humaine », insiste-t-il.
Des moyens pour la surveillance
La surveillance de l’émergence des pathogènes, qui peut « intervenir n’importe où et à plusieurs niveaux », demande « des efforts constants et très important, or tous les pays n’ont pas mis en place de système de prévention suffisants », observe Mircea Sofonea, épidémiologiste au sein du laboratoire maladies infectieuses et vecteurs de l’Université de Montpellier. « Des bases de données existent mais elles sont insuffisamment partagées », regrette Magali Hainaut, directrice de la R&D de Boehringer Ingelheim France. Cette dernière applaudit la création d’initiatives telles que Prezode (2) (annoncée par Emmanuel Macron en janvier 2021), devant permettre la mise en commun de bases de données de santé humaine et animale entre Etats, mais les juge insuffisantes. Selon Monique Eloit, il s’agit surtout d’un problème de ressources humaines et de moyens. « Tous les pays n’ont pas les moyens de procéder à des prélèvements à grande échelle et de recueillir des données de qualité. Les scientifiques doivent nous aider à prioriser les espèces réservoirs et les classes de virus à surveiller », plaide-t-elle.
Décloisonner les formations
Un autre enjeu majeur relevé par Mircea Sofonea, et qui concerne aussi les pays riches, est celui de la formation. « En France, très peu de cursus permettent d’approfondir les enjeux de santé globale. Il faut repenser les formations en les ouvrant à d’autres champs disciplinaires. Par exemple, que les médecins aient des cours d’écologie de la santé ou de biologie évolutive et cela concerne d’autres métiers, comme les statisticiens ». « Si on veut pouvoir adopter une approche globale des risques et des solutions, les professionnels de santé doivent avoir une vue transverse », renchérit Magali Hainaut, citant le soutien de Boehringer Ingelheim au HUB mondial en santé publique vétérinaire lancé à Lyon début 2020.
Confiant sur le développement des collaborations, Serge Morand estime que l’on a également beaucoup à apprendre des expériences de terrain. Selon lui, la Thaïlande a ainsi bien compris l’enjeu de faire travailler ensemble les différents acteurs et les différentes disciplines et de trouver un langage commun. « Là-bas, il existe un million de volontaires de santé communautaire, qui font le lien entre les préoccupations des communautés et les chercheurs », témoigne-t-il. « Toutes les organisations mondiales n’ont pas toujours la possibilité d’être aussi près du terrain, reconnaît Monique Eloit. Mais au travers de l’alliance quadripartite (3), nous pouvons montrer aux Etats le chemin de la coopération internationale. »
Anticiper la réponse aux crises
Pour Magali Hainaut, « il faut aussi tenir compte du temps nécessaire pour répondre à une épidémie, et donc se préparer en amont, par exemple en travaillant sur des plateformes de vaccins pluri-pathologies pour être plus flexibles, et sur le développement d’immunothérapies. » Mais là encore, beaucoup de pays n’ont pas encore mis en place de plan d’urgence. « Tout plan de ce type doit être préparé avec les différentes composantes pour être sûrs de toucher la bonne cible, insiste Monique Eloit. Il y a un vrai besoin de ressources, quantitativement et qualitativement, pour que les professionnels de santé humaine ou animale puissent s’approprier ces concepts et les appliquer ». La bonne nouvelle est que selon elle, avec la pandémie de Covid-19, les politiques et les investisseurs financiers ont désormais compris l’importance de financer des initiatives One Health.
Julie Wierzbicki
1) Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – CIRAD
2) Preventing ZOonotic Disease Emergence – Prezode
3) Initialement tripartite avec l’OMS (santé humaine), l’OIE (santé animale) et la FAO (alimentation et agriculture), l’alliance mondiale en faveur de l’approche One Health est officiellement devenue quadripartite en mars dernier avec l’intégration du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).