One health : les leviers de la mobilisation publique
La transition vers l’approche « Une seule santé » demande une politique interministérielle alimentée par des financements dédiés, appuyée par des outils appropriés et pilotée par des indicateurs de santé publique rigoureusement évalués. Quels sont les objectifs prioritaires ? Comment mesurer la performance ? Faut-il une loi ad hoc ?
En introduction de cette troisième table-ronde du colloque Santé & Environnement de Pharmaceutiques, Agnès Michelot, vice-présidente et présidente d’honneur de la Société française pour le droit de l’environnement (SFDE), rappelle la nécessaire définition du concept « One health » et son cadrage juridique pour qu’elle s’applique à tous et dans toutes les politiques publiques. « Un travail considérable a été mené en ce sens par les médecins, les vétérinaires et les écologues, en lien avec des juristes, qui s’est notamment traduit par la création de l’Alliance santé et biodiversité, une entité réunissant huit structures dont la SFDE. Chacun a le droit à un environnement sain ! C’est dans la chartre constitutionnelle, mais aussi dans le traité de l’UE, et dans le droit international depuis l’adoption d’une résolution à l’ONU en juillet 2022 », indique-t-elle. Aucune règle ne permettant de lier la protection de l’environnement et de la santé, une loi sera « incontournable, à terme, pour avoir une organisation structurée ». Agnès Michelot insiste notamment sur les enjeux en matière de démocratie environnementale, et plus particulièrement sur l’égalité des droits à l’information et à la participation, ainsi que l’accès à la justice, entre les individus quel que soit le genre ou le statut social, entre les générations, entre les espèces et entre les Etats. Pour Jean-Luc Angot, inspecteur général de santé publique vétérinaire et président de la section « international, prospective, évaluation et société » au sein du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, « un portage politique au niveau national, européen, et international est indispensable à la mise en place du concept One health ».
Une nécessaire coordination
« Le vivant étant une structure complexe, il faut une coordination interministérielle pour essayer de coordonner toutes les politiques publiques », ajoute-t-il, mettant le doigt sur les marges de progrès. Il cite le Plan National Santé Environnement (PNSE 4), la Stratégie Nationale Biodiversité 2030, le Plan Ecophyto dont les résultats sont insuffisants, les Plans Eco-antibio pour réduire l’utilisation des antibiotiques en élevage et qui montrent une diminution de 52 % depuis leur mise en place en 2011, mais aussi le Programme National pour l’Alimentation, le Programme National Nutrition Santé, et la Stratégie Nationale pour l’Alimentation, la Nutrition et le Climat (SNANC) qui doit être mise en place dans le cadre de la loi « Climat et résilience ». Les organisations internationales, l’OMSA, l’OMS, la FAO, et le programme des Nations unies pour l’environnement, sont reliés dans une alliance quadripartite. « Mais dans les faits, ils continuent à travailler en silo, regrette Jean-Luc Angot. Il faut essayer de dépasser cette organisation, et embarquer le secteur privé dans les discussions, à l’image du Livre blanc sur One health il y a trois ans, que j’ai piloté et qui avait impliqué les industriels pharmaceutiques, phytopharmaceutiques et vétérinaires, ou encore le Fonds mondial pour la santé et le bien-être des animaux de l’OMSA qui associe des partenaires publics et privés. » Cardiologue et président de l’Association santé environnement France, le Dr Pierre Souvet, confirme que la priorité est au décloisonnement. « Prévenir et traiter les risques sanitaires et les maladies chroniques représentent un coût, mais là où les actions sont mises en place, elles fonctionnent », salue-t-il, citant notamment le plan suisse de décontamination des eaux ou l’arrêt de circulation des voitures roulant au diesel à Tokyo.
Une évaluation des politiques publiques
« Les données, leur recueil, traitement et qualité, ont un rôle clé pour élaborer et évaluer les politiques publiques », poursuit Pierre Souvet. Il déplore que les registres cancers ne soient pas aujourd’hui des outils d’alerte ni d’action, espérant une réforme. Les indicateurs de mesure de la performance des initiatives locales sont au cœur du PNSE 4. « Le groupe de suivi « Une seule santé » que je copréside avec Sandrine Le Feur, agricultrice et députée de la quatrième circonscription du Finistère, fait le suivi de quatre des actions du Plan : l’utilisation de biocides en médecine vétérinaire ; l’action sur les espèces nuisibles envahissantes ; la surveillance de la faune sauvage en tant que réservoir de pathogènes ; et l’offre de formation dédiée », détaille Jean-Luc Angot. Deux sous-groupes de travail ont été mis en place, dont l’un porte sur la définition d’une méthodologie à partir de la construction d’indicateurs permettant de caractériser l’approche « Une seule santé ». Le lien avec le territoire est également important. Les risques locaux doivent être intégrés au sein des plans régionaux PRSE 4, en cours de finalisation, et disposer des financements nécessaires.
« Il faut élargir les missions des CPTS et des MSP, en particulier dans les champs de la prévention et de la santé environnementale, mais aussi favoriser l’intégration des écologues et des vétérinaires dans les discussions, développer des consultations de groupe pour sensibiliser la population aux enjeux du One health, ou encore former les coordinateurs et les présidents de CPTS », complète Pierre Souvet, indiquant que ces prérogatives doivent être confiées dès la création de la structure pour être acceptées. Tous misent sur ces actions de prévention, qui coûteront à terme beaucoup moins chères que le soin. Il faut investir pour demain.
Juliette Badina
(1) ASEF, comité français de l’UICN, France nature environnement, Fondation pour la recherche sur la biodiversité, Fédération des syndicats vétérinaires de France, Humanité et Biodiversité, Société francophone de santé et Environnement et SFDE.
L’éco-responsabilité en santé : « On prend soin de vous, on prend soin de la planète »
« L’environnement a un rôle majeur pour notre santé », indique le Pr Patrick Pessaux, président du Collectif d’éco-responsabilité en santé (CERES). Il chiffre à 15 % des décès en 2023 comme étant liés à l’environnement, citant la pollution aux médicaments des eaux des rivières, ou les microplastiques qui se retrouvent jusque dans nos artères (selon une étude sur les personnes atteintes de sténoses de la carotide). Si le secteur aéronautique est responsable de 5 % des émissions de GES en France, la santé en représente 8 %, dont la majorité est issue des produits de santé, puis des repas et des transports ! Le professeur s’alarme des consommations de 400 à 1 200 litres d’eau par patient et par jour d’hospitalisation, des 17 000 tonnes de médicaments rapportées chaque année en officine pour être incinérées, ou encore des 1,5 milliard de repas carnés par an dans les hôpitaux français. Patrick Pessaux s’intéresse à la manière de prendre en compte les questions environnementales dans toutes les étapes du cycle de vie d’un produit ou d’un service, de la conception à la valorisation en fin de vie, en passant par la fabrication et la distribution. Ce qu’il appelle les soins éco-responsables et qui fait partie de la feuille de route sur la planification écologique (objectif 4, incluant des prescriptions plus sobres, une réduction des gaz médicaux, des référentiels de pratiques médicamenteuses, et le retraitement des DM à usage unique). « Nous devons interroger nos pratiques, leur qualité mais aussi leur pertinence, selon les indicateurs (CROMs, PREMs et PROMs) et un quatrième qui correspondrait aux Environnemental reported outcome measure (EROMs) », indique le Pr Patrick Pessaux, également président du comité transition écologique en santé de la FHF et conseiller expert transition écologique au sein de l’ARS Grand Est. « Le retour d’expérience du CHU de Strasbourg montre une vraie dynamique au bloc », se félicite-il.