Patients : capitaliser sur l’expérience
Recueillir l’expérience des patients nécessite de savoir s’appuyer sur des méthodologies robustes de registre, d’analyse et de partage des données, mêlant à la fois le ”quantitatif” et le ”qualitatif”.
Le Pr Philippe Michel, président fondateur de l’Institut français de l’expérience patient (Ifep), est venu introduire le colloque sur le thème de l’Expérience patient organisé par Pharmaceutiques le 5 juin. « L’expérience patient, c’est l’ensemble des interactions et des situations vécues par une personne ou son entourage au cours de son parcours de santé, indique-t-il en préambule. Ces interactions sont façonnées à la fois par l’organisation de ce parcours mais aussi par l’histoire de vie de la personne concernée. » L’expérience patient s’approche sous trois angles : des données-indicateurs indispensables, auxquelles s’ajoutent des observations qui peuvent passer par le « shadowing » – méthode consistant à « suivre le patient comme son ombre lors de son parcours à l’hôpital » -, ainsi que le récit du patient. « L’expérience du patient est d’abord clinique, mais elle est aussi cumulative et intégrative, et elle se partage surtout en privé », poursuit le Pr Philippe Michel. Invité aux débats de la première table-ronde, consacrée à l’écoute et à la compréhension des témoignages des patients, le sociologue Nicolas Naiditch indique que « si les institutionnels sont toujours à la recherche de méthodes quantitatives, le qualitatif est très important, et même indispensable dans les domaines où il y a peu de patients et donc peu de données quantitatives. »
Une nécessaire co-construction
Gaëlle Nachbaur, directrice médico-économie et pharmaco-épidémiologie de GSK, est venue témoigner de la limite des questionnaires standardisés EQ-5D de qualité de vie. « Avec cinq questions (1) et cinq niveaux de réponses, ils sont assez pauvres et ne permettent pas d’approfondir sur la qualité de vie, constate-elle. Et surtout ils ne correspondent pas toujours aux attentes des patients. » D’où la nécessité de co-construction de questionnaires adaptés. Pour Manon Molins, responsable du projet MoiPatient, l’expérience patient doit capitaliser sur l’expertise des associations représentantes. A ce jour, seuls 6 % des PROMS (Patient-reported outcomes measures) ont été construits avec les patients.
Le questionnaire e-Satis de la HAS visant à suivre la satisfaction et l’expérience des patients hospitalisés comprend 50 questions fermées, ainsi que deux questions ouvertes permettant de recueillir des informations plus descriptives : « Qu’avez-vous retenu de positif/de négatif au cours de votre séjour ? » Pour valoriser ces données non-structurées, Guillaume Rousson a co-fondé la société EntendsMoi, dont il est aujourd’hui le directeur scientifique. « Nous avons dès nos débuts travaillé avec neuf établissements de santé pour construire une classification en thèmes et sous-thèmes et entraîné nos algorithmes afin d’aboutir au tableau de bord dont nous disposons aujourd’hui », explique-t-il, ouvrant de nouvelles pistes d’action. « Force est de constater que les modèles de langage fonctionnent très bien dans ce domaine », applaudit Nicolas Naiditch.
Des besoins en constante évolution
Comment aller plus loin ? « Les professionnels de santé doivent dépasser leur peur de se faire « évaluer » par les patients », estime Manon Molins. « D’autant que les retours sur la relation avec le personnel ne rarement négatifs, constate Guillaume Rousson. Ils ont a minima neutres, et souvent positifs sur la relation aux soins. » Des incitations sont déjà en place entre les autorités et les maisons de santé pluriprofessionnelles pour entrer dans une démarche « quali », avec un soutien pouvant aller jusqu’à 7 500 € par maison de santé.
« La démarche « quali » permet de prendre en compte les besoins des patients, qui évoluent plus vite que ces questionnaires « quanti » », complète Gaëlle Nachbaur. « Ces projets d’étude avec les associations de patients peuvent faire émerger de nouveaux sujets », assure la représentante de patients. L’industrie pharmaceutique est très intéressée par ces données d’expérience patient, notamment parce qu’elles permettront de faire la différence entre deux molécules qui ont la même efficacité. « Des questionnaires validés et reconnus par les patients doivent en effet permettre de quantifier un gain, au-delà des critères durs, confirme la responsable du laboratoire GSK. Un travail reste à faire pour que ce gain soit valorisé, pas forcément pour les autorités de santé, mais pour les patients eux-mêmes. »
Juliette Badina
(1) Mobilité, autonomie, impact sur les activités courantes, douleur et gêne, anxiété et dépression
Encadré : Un contexte sociétal, institutionnel et international propice
Pourquoi parle-t-on autant de l’expérience patient aujourd’hui ? « C’est d’abord un contexte sociétal accentué depuis la crise du Covid-19, répond le Pr Philippe Michel, président fondateur de l’Institut français de l’expérience patient (Ifep), la santé étant la première préoccupation des Français. Les représentants d’usagers veulent être davantage entendus, considérés, et écoutés, d’autant que la transition épidémiologique et démographique engage à l’horizontalisation de la relation. » Selon la 5e édition du baromètre de l’expérience patient de l’Ifep, réalisée en 2023 auprès de 2 000 patients et 2 372 professionnels de santé, seulement 51 % des patients estiment que leur ressenti et leur vécu sont pris en compte, contre 71 % des soignants. Et l’écart de ressenti se creuse. « Mais c’est également un contexte institutionnel, avec le poids des usagers dans l’écosystème de santé et la gouvernance qui se renforce, ainsi qu’international avec l’identification d’un enjeu de rayonnement du modèle social français. Si l’Hexagone s’est engagé plus tard que d’autres pays et qu’il y a encore relativement peu de formations sur l’expérience patient dans le pays, un premier Diplôme Universitaire (DU) dédié doit ouvrir à la rentrée 2024 à l’Ifep à Lyon.