Assises de l’Avenir / R&D : comment regagner des points
Si la recherche académique française en santé n’a pas à rougir au plan international, les participants de la deuxième table ronde des Assises de l’Avenir insistent sur l’importance de la levée des lourdeurs administratives et d’une meilleure connaissance entre secteurs public et privé pour soutenir le continuum de la R&D jusqu’à l’émergence de champions industriels.
Le constat issu de la mission d’information sénatoriale « Excellence de la recherche/innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française », dont le rapport a été publié début juin, est accablant. Alors qu’elle s’était engagée, conformément à la stratégie du conseil européen de Lisbonne (mars 2000), à porter à 3 % la part de son PIB investie en R&D, la France stagne à 2,2 %. Pire : elle a été incapable de développer un vaccin contre le Covid-19 (1). Pour son rapporteur, le sénateur Vanina Paoli-Gagin (groupe Les Indépendants – République et Territoires), intervenant lors de la deuxième table ronde des Assises de l’Avenir le 28 juin 2022 (2), le premier coupable en est la désindustrialisation. Alors qu’une grande part de l’investissement en recherche vient des entreprises, « la France a perdu la moitié de ses usines et un tiers de ses emplois industriels depuis 1995 », déplore-t-elle. Dans le champ de la santé, « on n’a pas su créer de champion industriel, on ne sait pas prendre de risque ni mobiliser de capitaux massifs », regrette Vanina Paoli-Gagin, citant en contre-exemple l’américain Moderna, qui a bénéficié de pré-commandes pour son vaccin anti-Covid.
Améliorer la connaissance mutuelle
La recherche académique, notamment dans le champ de la santé, fait meilleure figure au plan international. Carole Chrétien, directrice des relations avec les entreprises au CNRS, souligne l’attractivité de cet organisme vis-à-vis des chercheurs étrangers (30 % des recrutements). « Les chercheurs bénéficient en France d’une liberté unique dans la conduite de leurs travaux », applaudit-t-elle, tout en pointant en parallèle la faiblesse des salaires « qu’il faudrait remonter ». La symbiose entre la recherche fondamentale et le « monde réel » doit en revanche être améliorée. Et cela passera selon elle par une meilleure connaissance des acteurs entre eux et par une meilleure mobilité entre les secteurs public et privé. « Nous souffrons d’un déficit de confiance bilatéral entre le public et le privé », reconnaît le Pr Pascal Pujol, chef du service d’oncogénétique du CHU de Montpellier et président de la Société Française de Médecine Prédictive et Personnalisée. Pour Florence Herry, fondatrice et présidente de la société Libheros, cette confiance pourrait passer par un langage commun entre les acteurs, qui devrait s’acquérir dès la formation initiale.
Lever les freins administratifs
Non seulement la R&D, mais aussi tout le système de santé français se trouvent aussi pénalisés par des lourdeurs administratives, qui obèrent en partie les bénéfices des initiatives et réformes récemment engagées. Alors que l’une des ambitions de Libheros est de décentraliser en partie les essais cliniques au domicile des patients, en s’appuyant sur l’expertise d’infirmiers libéraux spécialement formés, Florence Herry souligne les enjeux culturels mais aussi réglementaires d’un tel basculement. Par exemple, le domicile n’est pas, en France, considéré comme lieu d’essai clinique contrairement à d’autres pays. De son côté, Pascal Pujol salue l’avancée que constitue la réforme de l’accès précoce aux médicaments innovants (3) mais dénonce sa complexité et « la masse de documents à remplir ». Pour Vanina Paoli-Gagin, qui reconnaît que le plan Innovation santé 2030 « va dans la bonne direction », c’est toute l’approche systémique qui est à revoir, en adoptant une logique d’évaluation concomitante plutôt qu’a priori. « Il faut lever tous ces freins, qui font perdre des places à la France dans le peloton de l’innovation », plaide Pascal Pujol.
Julie Wierzbicki
(1) La société française Valneva a obtenu le 24 juin dernier l’AMM (non conditionnelle) de la Commission européenne pour un vaccin inactivé à virus entier, dont le développement a été largement financé par le Royaume-Uni.
(2) Les Assises de l’Avenir étaient coorganisées par Pharmaceutiques et le cabinet Asterès avec le soutien du Leem et de Pfizer.
(3) Un premier bilan à un an de cette réforme est présenté dans le numéro de juin-juillet de Pharmaceutiques (p.31-34).