Une vie normale avec le VIH?
La troisième table ronde du colloque « Ensemble pour l’éradication du VIH », organisé le 29 mars par Pharmaceutiques, a confronté plusieurs intervenants autour de la question de la vie quotidienne des personnes infectées.
Geoffroy Sainte-Claire Deville, directeur du développement de Focus Patient, est venu présenter une analyse de près de 27 000 témoignages issus de 3 385 auteurs sur le VIH, collectés sur le forum public Doctissimo durant la période 2016-2021. « Les verbatims de ces internautes sont le marqueur d’une méconnaissance sur quatre grandes thématiques (modes et risques de transmission (48 % des verbatims), dépistage (25 %), symptômes de primo-infection (13 %) et traitements (7 %)), mais aussi le révélateur de profondes angoisses psychologiques, s’alarme-t-il. Faute d’avoir obtenu des réponses dans leur entourage, chez le médecin, ou encore à l’école, les Français sont nombreux à aller sur les forums santé. C’est donc certainement un lieu où il faut communiquer des messages de prévention en santé », estime-t-il. Camille Spire, présidente de l’association AIDES, juge également urgent de repenser l’éducation sexuelle à l’école et conduire de vraies campagnes de communication grand public. « 84 % des Français de l’étude que nous avons menée il y a quelques années ne savaient pas que le traitement, bien pris, évitait de transmettre le virus, déplore-t-elle. Il existe encore de nombreuses peurs : ¼ des Français serait ainsi encore mal à l’aise à l’idée de travailler avec une personne séropositive. »
Des discriminations, notamment légales
Si, en théorie, une personne vivant aujourd’hui avec le VIH, bien traitée, peut mener une existence normale, « dans la vraie vie, les préjugés sont encore lourds !, indique Cédric Daniel, chargé de mission Communication & plaidoyer de l’association Actions Traitements. Camille Spire rappelle même que certains métiers restent non-accessibles du fait du statut sérologique, comme celui de policier ou gendarme. « Des discriminations qui sont encore partout et peuvent parfois aller jusqu’à une forme de racisme », constate Jean François Mbaye, député du Val-de-Marne, président du groupe parlementaire d’études dédié au sida, qui s’exprimait en clôture du colloque de Pharmaceutiques. Il milite pour un engagement politique comme moteur de nouvelles actions, aux côtés de l’ensemble des acteurs. « En portant différents projets par différents véhicules législatifs, comme l’accès récent au don de sang pour les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH), nous sortirons peu à peu de l’ignorance pour avoir une société où tout le monde est accepté, estime-t-il. Ainsi la discussion sur le droit à l’emprunt a été ouverte à l’Assemblée nationale et au Sénat, mais n’a malheureusement pas encore aboutie ! » Tous déplorent d’ailleurs que le VIH soit absent du débat de la campagne électorale.
Structuration de la prise en charge
Les évolutions des dernières décennies sur le dépistage, aujourd’hui gratuit pour tous, partout, et sans ordonnance, comme sur la prise en charge thérapeutique, doivent permettre une meilleure acceptation globale de la maladie. L’espérance de vie des patients porteurs du VIH est aujourd’hui la même que celle des personnes non infectées. « Voire meilleure, complète Dr Jean-Paul Vincensini, médecin généraliste à Paris, du fait d’un suivi médical régulier dont peu de personnes peuvent se féliciter ! ». Cédric Daniel ajoute toutefois qu’il est difficile de comparer le vécu d’une jeune personne ayant découvert il y a peu sa séropositivité, de celle d’une personne l’ayant découverte depuis des décennies avec des années sous traitement et des défenses immunitaires plus faibles qui conduisent à certaines comorbidités. « Pour une meilleure prise en charge, il faut dorénavant sortir du parcours hospitalo-centré, qui peut éloigner du soin », indique Camille Spire. Les médecins généralistes sont plus à même d’être impliqués dans la prise en charge des patients, allégeant leur parcours. Depuis quelques mois, les MG peuvent faire une première prescription de la PrEP*, « mais encore très peu le font, par manque d’information notamment », témoigne le docteur Vincensini. « Certains d’entre eux, dépendamment de la file active des patients dans leur cabinet, ne savent toujours pas encore comment aborder le sujet, notamment auprès des adolescents ». Le VIH doit revenir sur le devant de la scène publique, d’autant plus après deux années de pandémie, où le dépistage a chuté.
Juliette Badina
* prophylaxie pré-exposition – PrEP