Vaccination : les leviers de l’adhésion citoyenne
Exception faite des enfants de moins de deux ans, la couverture vaccinale des Français demeure insuffisante. Dans un climat de défiance quelque peu tempéré par la crise sanitaire, la philosophie et la méthode devront être repensées pour convaincre les indécis. Loin de se réduire aux exigences en matière de transparence, la confiance sera avant tout nourrie par la connaissance scientifique et le progrès thérapeutique.
Le débat déchaîne les passions. Championne du monde de la défiance vaccinale, la France doit capitaliser sur l’expérience de la crise sanitaire pour prévenir la résurgence de certaines maladies anciennes comme la rougeole, dont les récentes flambées épidémiques inquiètent la communauté scientifique, non sans accroître la problématique de l’antibiorésistance. Selon les experts réunis par Pharmaceutiques, l’objectif prioritaire sera de convaincre les indécis, finalement bien plus nombreux que les réfractaires, y compris chez les professionnels de santé. Le déni, la peur et la méfiance n’expliquent pas tout. Ravivé par la pandémie, le péril infectieux est globalement négligé par le grand public. « La perception de la vaccination se caractérise par une sous-estimation des bénéfices et une sur-évaluation des risques », rappelle Jean-Pierre Thierry, conseiller médical de France Assos Santé. Loin de se réduire aux impératifs de transparence, notamment sur les effets secondaires, la confiance sera le produit de la connaissance. La stratégie, la communication et les outils devront également être repensés pour vacciner plus de Français. Sur un sujet aussi sensible, la coercition ne semble pas être une option, sinon de manière transitoire ou ciblée.
Les leçons de la crise
Vivement contestée par les « antivax », la méthode se veut pourtant performante. « L’extension des obligations vaccinales du nourrisson a réduit la défiance. La vaccination anti-Covid a renforcé la confiance », affirme Sophie Muller, directrice médicale de GSK France. Longtemps motivée par l’obtention du pass sanitaire, cette dernière suscite actuellement une moindre adhésion, comme en témoigne le faible recours à la seconde dose de rappel. La cinétique de la pandémie y est pour beaucoup. L’accumulation des injections aussi. « Le sentiment de lassitude vaccinale doit être pris très au sérieux. Il faut travailler sur ce phénomène pour préserver les bénéfices de la vaccination qui reste la meilleure source d’équité en matière de santé publique », estime Catherine Weil-Olivier, professeur honoraire de pédiatrie à l’Université Paris 7. La perspective d’un nouveau rebond épidémique impose néanmoins une réaction circonstanciée. « Une nouvelle campagne d’information permettrait sans doute de préciser la conduite à tenir, en fonction du profil de chacun. » Autre enseignement de la crise : la science et la politique devront fonctionner indépendamment pour gagner les faveurs de l’opinion. « Ce modèle de gouvernance croisée a semé le doute et la confusion dans l’inconscient collectif. Le consensus scientifique doit éclairer la décision publique, mais il ne doit pas s’y substituer. Son efficacité suppose également un contrôle régulier et une absence totale de liens d’intérêts vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique », insiste Jean-Pierre Thierry. Seule entorse à la règle : la participation des experts aux programmes de recherche clinique dans le respect du cadre prévu par la règlementation.
Une stratégie globale
Exception faite des enfants de moins de deux ans, la couverture vaccinale des Français demeure irrégulière et insuffisante. Préoccupante, la situation exige une révolution copernicienne. « Il faut construire et développer la culture de la vaccination à tous les âges de la vie, et concentrer les efforts sur les personnes les plus vulnérables et les moins bien protégées, comme les femmes enceintes ou les sujets âgés. Le discours devra être plus positif et moins culpabilisant, notamment chez les jeunes adultes », prévient Catherine Weil-Olivier, qui plaide pour une approche centrée sur le « well being ». Plus offensive, la stratégie vaccinale devra être davantage éclairée par la donnée. « Des outils de science objective seront indispensables pour piloter, affiner et évaluer les politiques publiques, mais aussi pour communiquer plus efficacement sur des notions méconnues, biaisées et complexes », souligne Jean-Pierre Thierry. Contrôle qualité, balance bénéfice/risque, événement indésirable, taux de vaccination… « Rien ne sera possible sans la création d’un registre de vaccination ni la mobilisation accrue des corps intermédiaires. » Selon lui, les professionnels de santé et les associations de patients seraient de parfaits relais de proximité pour « responsabiliser, impliquer et convaincre » la population. L’élargissement des prérogatives vaccinales des infirmiers, des sages-femmes et des pharmaciens devrait également y contribuer. « Cette évolution va radicalement simplifier le parcours vaccinal, et permettra notamment de sensibiliser les assurés qui fréquentent peu les cabinets médicaux », relève Sophie Muller. Au-delà des aspects liés à la formation, la responsabilité des industriels est clairement engagée. Le recours à la vaccination sera avant tout stimulé par le progrès thérapeutique.
Jonathan Icart
NB : ces propos ont été recueillis durant la troisième table ronde du colloque sur la vaccination, organisé par Pharmaceutiques le 29 novembre dernier.