Accès dérogatoire : en attente des décrets
Les concertations se poursuivent, en vue de la prochaine entrée en application des nouvelles modalités d’accès dérogatoire aux médicaments en France, figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021. A l’occasion d’un webinaire organisé à l’initiative de Gilead et Sanofi Genzyme, diverses parties prenantes font le point sur les attentes et les questions à résoudre.
La réforme de l’accès dérogatoire aux médicaments, présentée en détail par Pharmaceutiques lors de l’examen du PLFSS pour 2021, doit entrer en vigueur au plus tard le 1er juillet prochain. Cette réforme vise à remettre à plat le système des autorisations temporaires d’utilisation (ATU nominatives, de cohorte, d’extensions d’indications), de post-ATU, d’accès direct post-AMM et de recommandations temporaires d’utilisation (RTU) en une double voie d’autorisation d’accès précoce (AAP) ou compassionnel (AAC). Les décrets d’application, censés répondre aux nombreuses interrogations soulevées par la rédaction actuelle de la nouvelle loi, sont en cours de rédaction. Et fait assez rare pour être souligné, les industriels sont associés à leur préparation, comme ils l’ont été à celle du projet de loi. « Des réunions de travail ont lieu très régulièrement, pour tenter de résoudre nos dissensions », a salué Michel Joly (en photo, à droite), président de Gilead France, lors d’un webinaire co-organisé avec Sanofi Genzyme le 3 mars.
Interrogations sur l’action de la HAS
L’une des principales nouveautés introduites par le texte est le positionnement de la Haute autorité de santé (HAS) comme décisionnaire de l’octroi des AAP, alors que jusqu’ici elle ne formule que des avis. Quelle sera son appréciation du critère de « médicament présumé innovant » au regard d’un « comparateur cliniquement pertinent », nouvelle condition pour prétendre à l’accès précoce ? En réalité, ce statut « présumé innovant » existe déjà, dans les procédures d’instruction anticipée mises en place par la HAS ; il est accordé par le Bureau de la Commission de la transparence (CT) selon certains critères déjà définis. Faudra-t-il s’appuyer sur la CT ou recréer une instance similaire pour examiner ces nouveaux dossiers ? « Cette simplification n’augmentera pas forcément la rapidité d’accès, craint le Pr Pierre Fumoleau, directeur de l’Institut Curie. Si cela rajoute trois ou quatre mois de procédure, on perdra tout le bénéfice de l’accès précoce ! ». Christian Deleuze (en photo, à gauche), directeur général de Sanofi Genzyme France, s’inquiète quant-à-lui de la surcharge de travail que cela pourrait représenter pour l’agence. « Si on veut faire intervenir la HAS sur ces sujets, il faut lui en donner les moyens ! », insiste-t-il. Il plaide également pour une harmonisation au niveau européen de la nature des données de vie réelle à recueillir dans le cadre du suivi des médicaments administrés en accès précoce. « Ces données devront réellement être prises en compte dans les évaluations : cela pourrait jouer sur la rapidité d’accès », espère-t-il.
Un enjeu d’attractivité
« La réforme doit répondre à un double enjeu : maintenir les délais d’accès précoces et même les accélérer pour les patients, et accroître l’attractivité de la France vis-à-vis de l’industrie », rappelle Agnès Firmin Le Bodo, membre de la Commission des affaires sociales. Un véritable exercice d’équilibriste ! Car le législateur tient aussi à « réguler » le succès du système des ATU, représentant annuellement un milliard d’euros de dépenses pour l’Assurance maladie. D’où le maintien d’un système de remises graduées, dont les modalités sont là encore attendues dans un décret. « Cette grille de remises sera publique et toutes les maisons-mères pourront la voir, avertit Michel Joly. Attention à ne pas mettre en place des effets de seuils trop importants, ou des taux pouvant être perçus comme confiscatoires et qui dissuaderaient les laboratoires d’aller vers ce système. Ces décisions ne sont pas seulement économiques mais aussi politiques, puisqu’elles touchent à l’attractivité. »
Quelle place pour les patients ?
La simplification prônée par le législateur bénéficiera-t-elle à tous les patients ? Pas si sûr selon Christophe Duguet, directeur des affaires publiques de l’AFM-Téléthon. « L’accès précoce représente une prise de risque qu’on ne peut pas réserver aux cas simples, estime-t-il. Or le système proposé apparaît peu clair dans beaucoup de situations. Les décrets devront donner la souplesse nécessaire à une prise en charge au cas par cas de ces situations complexes. » Pourtant, à la différence des industriels, les patients, eux, ne sont pas impliqués dans la rédaction des décrets sur l’accès précoce, mais uniquement sur l’accès compassionnel, regrette Christophe Duguet. Alors que selon Gérard Raymond, président de France Assos Santé, la participation des malades sera primordiale pour juger du caractère « présumé innovant » de ces nouveaux produits de santé. « Il faut des garanties, que l’ensemble du dispositif soit rendu totalement transparent, et que les associations de patients soient parties prenantes tout au long du processus », réclame-t-il. Il propose de rendre obligatoire l’audition par la HAS des associations agréées. Et en profite pour remettre en avant la revendication portée de longue date par France Assos Santé, et appuyée par les industriels, de faire siéger les représentants de patients au Comité économique des produits de santé.
Julie Wierzbicki