Covid-19 : les personnes immunodéprimées dénoncent une « double peine »
Alors que les Français aspirent à retrouver une vie normale – et non masquée – après la pandémie de Covid-19, les patients immunodéprimés, à risque de développer des formes graves de la maladie, appellent à davantage de solidarité et à rendre de nouveau obligatoire le port du masque dans les établissements de santé.
Même avec une incidence en très nette baisse, le SARS-CoV-2 frappe encore en France. Selon les chiffres de Santé publique France, de début octobre 2023 à début mars 2024, 673 cas de Covid-19 ont été signalés par les services de réanimation participant à la surveillance, et 121 sont décédés. Pourtant, une enquête conduite par Ipsos pour le compte d’AstraZeneca et de plusieurs associations de patients (1), dévoilée lors d’une conférence de presse le 6 mars dernier, témoigne d’un « relâchement préoccupant », selon Etienne Mercier, directeur des pôles Opinion et Santé chez Ipsos. Conduite en janvier et février 2024 (2), elle montre que pour 51 % des Français adultes interrogés, le Covid-19 est devenu une pathologie bénigne, face à laquelle 71 % se disent non inquiets. Une impression qui se traduit par un abandon des gestes barrières : 45 % estiment qu’il « ne sert plus à grand-chose de porter le masque chirurgical dans les lieux publics clos ». Et seuls 27 % déclarent le porter systématiquement en présence de personnes vulnérables !
Une vulnérabilité accrue face au virus
Un relâchement qui inquiète les personnes immunodéprimées – 250 000 à 350 000 patients en France – du fait de pathologies chroniques ou de la prise de certains traitements (par exemple suite à une greffe). Chez elles, le risque de forme grave et de décès en cas d’infection est démultiplié. Selon une étude britannique (publiée dans The Lancet en octobre dernier), si les personnes immunodéprimées constituaient moins de 4 % de la population étudiée sur l’année 2022, elles représentaient 22 % des hospitalisations pour Covid-19 et 24 % des décès, et ce malgré un programme vaccinal complet (au moins trois doses) chez la grande majorité d’entre elles. Ce profil de patients répond en effet moins bien à la vaccination (baisse de la quantité et de la qualité des anticorps et de la durée de protection). Mais les recommandations concernant les rappels vaccinaux divergent – tous les trois ou six mois – selon les instances dont elles émanent. En complément de la vaccination, des traitements préventifs existent, mais l’information est parfois mal diffusée et leur accès peut être complexe.
Pour Pierre Aumont, administrateur bénévole de l’association Ellye (Ensemble Leucémie Lymphomes Espoir), le « basculement » a eu lieu à l’été 2023, avec la levée des dernières restrictions et mesures barrières obligatoires, mais aussi le changement dans le traitement des données et la publication des indicateurs de surveillance. « Puisqu’il n’y a plus de communication des chiffres, c’est comme si la maladie n’existait plus, observe-t-il. Les personnes immunodéprimées sont obligées de se prendre en main, dans un environnement devenu hostile ».
Un sentiment de « danger » au quotidien
Car si les patients immunodéprimés aspirent eux aussi à retrouver une vie la plus normale possible, le niveau d’inquiétude, vécue au quotidien, n’est pas du tout le même que dans la population générale. Selon le même sondage Ipsos, ils sont deux fois moins nombreux à considérer le Covid-19 comme une maladie bénigne, et 68 % se sentent « en danger » face à la baisse de niveau de vigilance de la population.
« Nous sommes passés d’une forme de solidarité collective à une responsabilisation individuelle de mettre en place des stratégies pour se protéger, y compris l’auto-exclusion », déplore Clotilde Génon, coordinatrice et responsable de la mobilisation des patients pour l’association Renaloo (patients concernés par une maladie rénale). Plusieurs des représentants associatifs s’exprimant lors de la conférence de presse ont mis en avant le caractère « stigmatisant » du port du masque lorsqu’ils sont les seuls à s’y plier. Sans compter que l’injonction de se justifier contrevient au secret médical. Selon le sondage Ipsos, près des deux tiers des personnes immunodéprimées interrogées se déclarent en faveur d’un retour à l’obligation du port du masque dans tous les lieux publics clos. Elles sont même 93 % à le plébisciter dans les établissements de soins : une mesure à laquelle 74 % du grand public serait également favorable.
Julie Wierzbicki
(1) Ellye, France Greffes Cœur Poumons, France Rein, Laurette Fugain, Renaloo, Transhépate, Vaincre la mucoviscidose
(2) Etude conduite sur un échantillon de 1 500 personnes adultes (méthode des quotas) pour le volet « grand public », et sur un échantillon de 588 patients immunodéprimés adultes (sans quota), les deux groupes ayant été interrogés par internet