Lutte contre la douleur : les acteurs demandent un « nouvel élan »
Pointant une absence de progrès dans la prise en charge des patients douloureux chroniques en France et s’inquiétant d’une aggravation de la situation avec la crise sanitaire, treize organisations présentent une vingtaine d’actions à mettre en place dès 2021.
« Nous demandons un nouveau Plan douleur pour sensibiliser la population, les pouvoirs publics et l’ensemble des acteurs de santé sur la nécessité de prendre en charge la douleur des patients », a souligné le Pr Frédéric Aubrun, PU-PH aux Hospices civils de Lyon et président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD), lors d’une conférence web organisée le 19 novembre. Le troisième et dernier Plan douleur s’est achevé en 2010. «À cette époque, nous avons travaillé sur un quatrième plan et sur la définition d’un parcours de soins, à la demande du ministère de la santé. Mais c’est passé aux oubliettes, probablement pour une question de coût, déplore Frédéric Aubrun. On ne peut plus se permettre d’attendre. Il faut renverser la table ! », a-t-il exhorté.
Une prévalence en hausse
La situation est en effet préoccupante. Près de 12 millions de Français souffrent de douleurs, « sources de handicap, d’inactivité, d’isolement social et de souffrances psychique, physique et sociale », qui génèrent par ailleurs un « surcoût d’1,2 milliard d’€ par an », selon la feuille de route. Or aujourd’hui, « seulement 30 % des patients reçoivent le traitement approprié et moins de 3 % d’entre eux sont pris en charge dans des centres spécialisés, qui manquent cruellement de moyens. » La crise de la covid-19 met encore plus à mal le secteur. « Pendant le premier confinement, les structures douleur chronique ont implosé, rapporte Frédéric Aubrun. 40 % de leurs professionnels (anesthésistes, psychologues, infirmières…) ont été redéployés dans le secteur covid. Les délais pour obtenir une consultation ont augmenté d’un mois. » Ils sont déjà de trois mois en moyenne. Cette accentuation des difficultés risque de s’inscrire dans la durée, du fait d’une augmentation du nombre de patients. « Le covid-19 va probablement entraîner le développement de douleurs neuropathologiques d’origine centrale », anticipe le président de la SFETD, qui signale l’existence d’« une file active et d’une file d’attente considérables. »
Fragilité des structures douleur chronique
Aussi, l’organisation, accompagnée par huit autres sociétés savantes, trois associations de patients et une ONG, a établi, « 22 pistes d’actions concrètes » dans le cadre du programme « Societal Impact of Pain » de l’European Pain Federation EFIC et du laboratoire Grünenthal. Un premier axe concerne « l’amélioration de la reconnaissance sociétale de la douleur », principalement par le lancement d’un « véritable plan national » et l’inscription de la douleur chronique parmi les affections de longue durée (ALD). Autre mesure : la pérennisation des 243 structures douleur chronique. Un tiers de ces centres (CETD) ou consultations spécialisées pourraient disparaître dans les prochaines années. « Nous souhaitons que leur fonctionnement, forfaitisé, soit sanctuarisé pour qu’il n’y ait pas de risque de fermeture ou de financement mal orienté », souligne Frédéric Aubrun.
Optimisation des parcours
Le parcours de soins du patient doit être optimisé. « Nous souhaitons désenclaver les structures en amont et en aval. Les acteurs de terrain pourraient prendre en charge les douleurs en ville », estime Frédéric Aubrun. Cela suppose le déploiement de formations, ce qui constitue le 2e axe de la feuille de route. Et une coopération entre tous les acteurs, médecins généralistes, médecins du travail, médecins scolaires, médecins conseil de la CNAM, praticiens hospitaliers… « Il manque des outils de coordination. Le patient n’est pas censé être coordinateur de son parcours mais il l’est dans les faits », pointe Françoise Alliot-Launois, vice-présidente de l’Association française de lutte antirhumatismale (AFLA). Enfin, le dernier axe porte sur « l’amélioration de la prise en charge des publics vulnérables ». Frédéric Aubrun prône une démarche de détection et de traitement « hors les murs, en Ehpad, en prison, en unité psychiatrique… », ainsi que le développement de structures pédiatriques.
Ces « mesures ambitieuses » sont à mettre en œuvre « dès 2021 », s’impatientent les spécialistes.
Muriel Pulicani