Mon espace santé : le pari de la dernière chance ?
La généralisation de l’espace numérique de santé est soumise à de nombreuses conditions. La confiance des utilisateurs sera le catalyseur de la transformation. Le partage effectif des données sera la clef du succès. Si la puissance publique échoue, les opérateurs privés pourraient prendre le relais.
Mon espace santé parviendra-t-il à faire oublier le cuisant échec du Dossier médical personnel ? Officiellement lancé en février dernier, ce service public se veut plus inclusif. « Sauf opposition explicite, tous les assurés pourront en profiter. La phase de création automatique sera achevée mi-juillet », affirme Hela Ghariani, directrice de projets à la Délégation ministérielle du numérique en santé. Plus complet et plus accessible, notamment via une application mobile qui peut être téléchargée gratuitement, il est aussi plus participatif. « Les usagers deviendront les premiers acteurs de leur prise en charge et de leur suivi médical. Ils pourront gérer leurs propres données pour être mieux soignés. » Autre différence notable par rapport au DMP : « Le niveau de maturité est suffisant pour réussir le déploiement », estime Fabrice Amatulli, directeur adjoint de l’offre e-santé parcours patient du MiPiH. La pandémie a favorisé la démocratisation des usages numériques. Le Ségur de la santé numérique facilitera les investissements technologiques.
Premières tendances
Traitements, allergies, vaccinations, résultats d’examens… Mon espace santé permet à son bénéficiaire de stocker, renseigner, classer, consulter et partager les informations concernant sa santé avec les professionnels de son choix. « L’infrastructure garantit la protection des données et la confidentialité du secret médical », insiste Hela Ghariani. Composée d’un dossier personnel et d’une messagerie sécurisée, cette interface individualisée sera prochainement enrichie de nouvelles fonctionnalités. Un agenda médical et des services de télésanté référencés seront ajoutés d’ici la fin de l’année. L’objectif est clairement affiché : améliorer la coordination des soins et confier la maîtrise de leurs données aux assurés. Quelques semaines après sa généralisation, l’heure n’est pas encore au bilan. Les premières tendances commencent néanmoins à se dessiner. « La dynamique observée est comparable à celle de la phase pilote », relève Hela Ghariani. Durant cette expérimentation menée pendant cinq mois dans trois départements*, 3,3 millions de Français ont été sollicités pour jouer les bêta-testeurs. Selon la Cnam, 0,7 % des personnes informées se sont opposées à sa création. Autre indicateur clef : 160 000 usagers ont utilisé leur carnet de santé numérique entre fin août et début janvier. La marge de progression est immense.
Trois leviers critiques
La réussite de cet ambitieux projet ne reposera pas uniquement sur la participation assidue des assurés sociaux, malades ou non. La mobilisation active des professionnels de santé sera un prérequis incontournable. « Les utilisateurs attendent des outils simples et pratiques pour communiquer efficacement et échanger facilement des informations essentielles », assure Fabrice Amatulli, qui pointe les trois principaux leviers de la transformation : l’interopérabilité des logiciels métiers, l’alimentation automatique des dossiers médicaux et le partage effectif des données de santé. Sur ce dernier aspect, ô combien décisif, la méthode incitative sera privilégiée, notamment à l’hôpital. « Un mécanisme de bonus financier pourrait être déployé pour valoriser les établissements de soins qui implémentent les documents de leurs patients », confirme Hela Ghariani. Plus largement, la confiance sera un paramètre déterminant pour fédérer les soignés et les soignants. Un important travail de développement et de sensibilisation devra être effectué pour « responsabiliser et impliquer et convaincre » les parties prenantes. La tâche s’annonce colossale, mais les enjeux le sont tout autant. « Si les citoyens ne prennent pas possession de leurs données, les opérateurs privés le feront. Dans cinq ans, il sera trop tard ! » Un aveu d’impuissance qui ressemble fort au pari de la dernière chance.
Jonathan Icart
(*) La Haute-Garonne, la Loire-Atlantique et la Somme.
NB : ces propos ont été recueillis durant l’Université de la e-santé qui s’est tenue à Castres, les 28 et 29 juin derniers.