Prise en charge des tests moléculaires : entre espoirs et inquiétudes
Au 10e congrès de la SFMPP, les parties prenantes ont salué les travaux de la HAS visant à accélérer l’accès au remboursement de droit commun des actes de biologie moléculaire et la réforme du RIHN. Non sans exprimer de vives inquiétudes quant aux modalités de financement futures de ces tests et aux risques d’iniquité d’accès qui en découlent, mal anticipées par les autorités.
Fil rouge récurrent des dernières éditions du congrès annuel de la Société française de médecine prédictive et personnalisée (SFMPP), la prise en charge des actes de biologie moléculaire a, une fois encore, occupé le devant de la scène lors de cette 10e édition qui s’est tenue à Paris du 9 au 11 octobre dernier. Avec cette année une tonalité plus optimiste, mais encore teintée de nombreuses inquiétudes exprimées par les parties prenantes médecins et généticiens, patients et industriels du diagnostic et du médicament. « Après plusieurs années de difficultés concrètes d’accès aux tests génomiques et grâce à une mobilisation de tous les acteurs, dont les associations de patients comme la Ligue contre le cancer, des progrès indéniables ont été réalisés », salue Sophie Beaupère, déléguée générale d’Unicancer. L’importance accordée à ce sujet reflète son enjeu, tant ces tests sont un préalable nécessaire à la prescription d’un nombre croissant de thérapies ciblées, essentiellement en oncologie mais aussi dans d’autres aires thérapeutiques.
Du côté du référentiel des actes innovants hors nomenclature (RIHN) et des nouvelles modalités d’inscription de ces tests à la nomenclature, « beaucoup de choses ont avancé depuis l’an dernier », assure Cédric Carbonneil, chef du service d’évaluation des actes professionnels à la HAS.
De premières évaluations publiées
La HAS a établi un programme pluriannuel de 127 évaluations, par vagues, des actes ayant vocation à être inscrits au remboursement. La HAS a également publié les principes de ces évaluations dans le cadre d’une nouvelle procédure dynamique d’actualisation de la composition des séquençages de panels de gènes remboursables. Parmi ces critères, le médicament associé au test doit avoir obtenu un avis favorable de la Commission de la transparence : « le test doit avoir une utilité clinique démontrée, insiste Cédric Carbonneil. L’objectif est d’éclairer le payeur de manière non ambiguë ».
Les évaluations de la première vague ont été finalisées et publiées en août dernier et portent sur la prise en charge de tests de séquençage à haut débit de panels de gènes dans le cancer du poumon, d’une tumeur stromale gastro-intestinale et de la leucémie lymphoïde chronique. Les travaux sont en cours sur la 2e vague. Mais une première difficulté majeure s’annonce pour les établissements hospitaliers publics : ces actes vont être intégrés aux tarifs des groupes homogènes de séjour (GHS)… sans que le montant de ceux-ci ne soit revalorisé. Autrement dit, le surcoût généré par le test pourrait être supporté à 100 % par les établissements hospitaliers publics ou privés à but non lucratif. « Les conséquences de cette réforme n’ont pas été anticipées », déplore Sophie Beaupère, même si Cédric Carbonneil a voulu rassurer en indiquant que « la DGOS s’est emparée du sujet ». Les cliniques privées, facturant directement à l’assurance maladie les tests prescrits, ne sont pas concernées. Ainsi, « l’inscription des tests à la nomenclature va créer une nouvelle inégalité entre établissements ! », s’alarme Laure Guéroult-Accolas, directrice générale de Patients en réseau.
Pour absorber le coût des tests les plus onéreux, « les acteurs publics demandent la création d’un mécanisme de financement spécifique au côté du GHS », similaire à la liste en sus pour les médicaments, expose Sophie Beaupère. Le Leem y est également favorable. « Cette solution réglementaire aurait l’avantage d’être assez simple à mettre en œuvre et serait bien acceptée par la communauté, observe Valentin Bitker, manager du pôle affaires publiques chez Nextep, rendant compte des travaux d’un collectif associant Unicancer, l’AP-HP, la SFMPP, Patients en réseau, CerHom et BRCA France. Mais cette solution ne serait pas neutre au niveau budgétaire : les réflexions doivent être poursuivies pour mettre en œuvre une solution efficace. »
Le financement des tests hors nomenclature en sursis
La sortie du RIHN de ces tests désormais inscrits à la nomenclature va permettre l’entrée de nouveaux, selon de nouvelles modalités, dans cette liste figée depuis plusieurs années. Le démarrage de ce RIHN 2.0 est « imminent », suspendu à la publication d’un dernier arrêté concernant les documents à transmettre. La HAS a mis en ligne le replay d’un webinaire dédié qu’elle a organisé le 20 septembre dernier. Désormais, les dossiers seront déposés au fil de l’eau. La HAS aura 90 jours pour examiner une demande d’inscription au RIHN, sur les volets « médical » et « organisation des soins », avant de transmettre le dossier à la DGOS qui disposera de 60 jours pour statuer sur les aspects financiers et juridiques.
Les associations professionnelles Leem (médicament) et SIDIV (diagnostic in vitro) saluent cette réforme « positive et nécessaire » mais appellent à la vigilance sur plusieurs points. « Une évaluation au fil de l’eau comme pour les médicaments nous semblerait plus adaptée, commente Ariane Galaup-Paci, directrice de la recherche clinique du Leem. « En médecine génomique, l’innovation arrive chaque jour : on ne peut pas se permettre des délais d’évaluation de trois ou quatre ans, au risque de pertes de chances pour les patients », ajoute Julien Bellet, membre du bureau du Sidiv.
Un autre écueil financier se profile : selon un décret publié le 29 mars 2024 (suite à la LFSS 2024), une décote tarifaire annuelle de 20 % sera appliquée, à compter de 2025, pour les actes hors nomenclature jusqu’ici financés de façon transitoire (RIHN ou liste complémentaire). Ceux pour lesquels un nouveau dossier d’inscription aura été déposé via le nouveau guichet du RIHN, d’ici la fin de l’année, à l’initiative des industriels du DM et les Conseils nationaux professionnels (CNP), pourront alors bénéficier d’un remboursement sans décote pour une durée maximale de six ans (renouvelable une fois). Vu le nombre d’actes concernés (plus de 600 en 2023), il est très peu probable que tous soient redéposés à temps. « Etablir un profil moléculaire est une source d’économie en soi, ce n’est pas sur ces tests qu’il faut rogner les coûts ! », alerte Frédérique Penault-Llorca, directrice générale du Centre Jean-Perrin (Clermont-Ferrand). « Ces tests sont médico-économiquement utiles, et pertinents pour la qualité de vie des patients, plaide Laure Guéroult-Accolas. Il est nécessaire d’investir un peu plus sur le testing moléculaire aujourd’hui pour améliorer la pertinence des traitements. »
Julie Wierzbicki