ESMO 2022 : les molécules chimiques toujours en course
Les résultats de phase III de deux petites molécules ciblant des voies thérapeutiques inédites, développées respectivement par SpringWorks et Amgen dans des tumeurs rares et dans une sous-catégorie de cancer du poumon, ont été mis en avant lors du congrès annuel de l’ESMO à Paris
Face à l’engouement pour les anticorps inhibiteurs de point de contrôle, les anticorps conjugués et les thérapies CAR-T, et alors que se profilent déjà des anticorps bi- ou tri-spécifiques, des lymphocytes infiltrants et le désormais incontournable ARN messager, reste-t-il encore une place pour les petites molécules chimiques dans les stratégies d’innovation anticancéreuses ? L’édition 2022 du congrès de l’European Society of Medical Oncology (ESMO), qui s’est tenue à Paris du 9 au 13 septembre, a répondu par l’affirmative, en mettant à l’honneur, lors de ses symposiums présidentiels (sessions considérées comme les plus prestigieuses) les résultats de phase III de deux molécules orales ciblant de nouvelles voies thérapeutiques.
Première démonstration en phase III dans les tumeurs desmoïdes
Présentés lors du premier symposium présidentiel le 10 septembre, les résultats obtenus par le nirogacestat offrent un réel espoir aux patients atteints de tumeurs desmoïdes – des tumeurs très rares, avec une incidence annuelle de 3 à 5 cas par million de personnes dans le monde. « Il s’agit d’une maladie difficile à traiter, contre laquelle aucun médicament spécifique n’a encore été approuvé », notait Bernd Kasper (Centre de cancérologie de Mannheim, Allemagne), en présentant l’essai DeFi. C’est le plus large essai de phase III randomisé conduit à ce jour dans cette pathologie (142 patients recrutés dans 37 centres dans le monde), mais aussi le premier essai de phase III à démontrer un bénéfice clinique pour un inhibiteur de la gamma-secrétase, ciblant la voie Notch.
Administré en monothérapie, le nirogacestat a permis une réduction de 71 % du risque de progression de la maladie, par rapport au placebo (la médiane de survie sans progression – PFS – n’ayant pas été atteinte). En commentant ces résultats, Jean-Yves Blay, directeur général du centre Léon Bérard à Lyon, a félicité les auteurs pour la « rigueur » de cette étude conduite sur une tumeur rare. Développé par l’américain SpringWorks Therapeutics, le nirogacestat dispose déjà du statut de médicament orphelin aux Etats-Unis (tumeurs desmoïdes) et en Europe (sarcome des tissus mous) et de désignations « Fast-Track » et « Breakthrough Therapy » par la FDA. Il fait également l’objet de plusieurs essais en combinaison dans le myélome multiple, en partenariat avec plusieurs big pharma.
Confirmation pour un médicament « first-in-class » d’Amgen
Le sotorasib (Lumykras®) d’Amgen a quant à lui déjà obtenu une autorisation accélérée de la FDA en 2021, et une AMM européenne conditionnelle début 2022, pour le traitement en deuxième ligne des patients atteints de cancers du poumon non à petites cellules (NSCLC), dont la tumeur présente une mutation KRAS-G12c – soit 30 % des mutations KRAS et 13 % de l’ensemble des cancers des poumons. Mais ces autorisations ont été accordées sur le fondement de données de phase I/II non comparatives. L’essai CodeBreak 200, présenté le 12 septembre, est la première étude de phase III randomisée (avec la France comme principal pays recruteur) évaluant par rapport à la chimiothérapie (docétaxel) les bénéfices de cette petite molécule orale, première à cibler une mutation KRAS.
Cet essai impliquant 345 patients a confirmé une amélioration de la survie sans progression (PFS à 12 mois de 24,8 % avec le sotorasib, contre 10,1 % avec le docétaxel) et une amélioration de la qualité de vie, mais n’a pas montré d’amélioration de la survie globale – un critère secondaire dont la démonstration aurait nécessité un autre design d’essai. Jugeant que le sotorasib délivrait ici une performance « un peu moins bonne qu’espérée », Natasha Leighl (Princess Margaret Cancer Center de Toronto, Canada), qui commentait ces résultats, a toutefois estimé qu’ils étaient suffisamment robustes pour favoriser une adoption rapide du médicament comme nouveau standard de soin en deuxième ligne de traitement des NSCLC avec mutation KRAS-G12c. Elle a cependant noté que son coût élevé pourrait impacter cette adoption. Par ailleurs, des essais combinant cette molécule à d’autres thérapies sont déjà en cours, ainsi que des études conduites avec d’autres molécules inhibitrices de KRAS développées par des laboratoires concurrents.
Julie Wierzbicki