Les thérapies ciblées à l’honneur à l’ASCO
Deux molécules orales ciblant des mutations tumorales spécifiques ont été mises en lumière lors de la session plénière de l’édition 2023 du congrès de l’ASCO. La première est une nouvelle thérapie porteuse d’avancées thérapeutiques dans un type de cancer n’ayant bénéficié d’aucune innovation depuis vingt ans ; la seconde, déjà autorisée, confirme sa promesse initiale en démontrant un gain de survie globale à long terme.
Sans être pourvoyeur d’innovation disruptive, l’édition 2023 du congrès de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO), qui a rassemblé à Chicago début juin plus de 40 000 participants, a mis en lumière nombre de résultats à même de changer les pratiques médicales, de confirmer sur la durée l’efficacité de certains nouveaux traitements… et de proposer de nouvelles solutions à des besoins médicaux non couverts.
C’est notamment le cas de l’étude de phase III INDIGO, qui a ouvert la session plénière de l’évènement, le 4 juin dernier. Selon le Pr Jean-Yves Blay, président d’Unicancer, elle illustre l’une des « tendances lourdes » de ce congrès, « l’émergence de nouvelles classe de thérapies ciblées ». INDIGO évalue en effet une nouvelle molécule, le vorasidénib, dans le gliome diffus de grade 2 présentant des mutations IDH1 ou IDH2, chez les patients avec une tumeur résiduelle ou en récidive après chirurgie. Représentant 81 % des tumeurs cérébrales, le gliome diffus de grade 2 est un cancer à évolution lente mais à ce jour incurable, touchant des personnes encore jeunes (âge moyen : 40 ans). « Le standard de soin actuel repose sur la chimiothérapie et la radiothérapie, qui ne sont pas curatives, ou sur une stratégie d’observation et d’attente… et il n’y a eu aucun progrès depuis plus de vingt ans », rappelle Ingo Mellinghoff, neuro-oncologue au Memorial Sloan Kettering Cancer Center et principal investigateur de l’étude INDIGO.
Une nouvelle stratégie de traitement du gliome diffus
L’isocitrate déshydrogénase (IDH) est une enzyme impliquée dans le métabolisme énergétique cellulaire, mutée sous la forme IDH1 (la plus fréquente) ou IDH2, dans 84 % des cas de gliome diffus de grade 2. Petite molécule orale inhibitrice sélective d’IDH1/2, le vorasidénib présente l’avantage sur d’autres inhibiteurs d’IDH1 de passer la barrière hématoencéphalique. Il a été acquis par le laboratoire français Servier en 2021, à l’occasion du rachat des actifs en oncologie de la société américaine Agios Pharmaceuticals, alors que le programme de phase III du vorasidénib avait déjà démarré.
« Eteindre directement la mutation dans le cerveau est une façon vraiment différente de cibler la maladie ! », applaudit Ingo Mellinghoff. Conduite chez 331 sujets – recrutés en pleine pandémie de Covid-19 – celle-ci a atteint son critère principal, la survie sans progression évaluée par imagerie par un comité indépendant, soit une médiane de 27,7 mois avec le vorasidénib (administré une fois par jour) contre 11,1 mois avec le placebo. Dans les deux ans suivant la randomisation, 83,4 % des patients traités par le vorasidénib n’ont pas eu besoin de nouvelle intervention, contre 27 % seulement des patients sous placebo. « Sans pour autant induire la destruction de la tumeur, le vorasidénib stoppe sa progression, explique Patrick Therasse, directeur du développement avancé et de la gestion du cycle de vie en oncologie chez Servier. On retarde ainsi le recours à la chimiothérapie ou à la radiothérapie, des interventions lourdes avec un fort impact sur la qualité de vie, alors que notre molécule présente un très bon profil de tolérance. » La FDA lui a accordé en mars dernier un statut « fast-track », et des demandes d’AMM aux Etats-Unis et en Europe devraient être déposées en 2024. « Nous espérons le mettre rapidement à disposition en France dans le cadre d’un accès précoce », ajoute Patrick Therasse. Les données de survie globale, chères aux agences d’évaluation, devront, elles, attendre encore plusieurs années.
Bénéfice confirmé dans le cancer du poumon
« On commence à récupérer les données matures d’études randomisées qui démontrent l’utilité des thérapies ciblées, notamment en situation précoce », observe Jean-Yves Blay. Le président d’Unicancer cite en particulier l’étude ADAURA, évaluant l’utilisation en situation adjuvante de l’osimertinib (Tagrisso®, AstraZeneca) dans le cancer du poumon non à petites cellules (NSCLC) de stade Ib à IIIa, présentant une mutation de l’EGFR (10 à 50 % des NSCLC suivant les zones géographiques).
Roy Herbst, directeur adjoint et chef de l’oncologie médicale au Yale Cancer Center et au Smilow Cancer Hospital, et principal investigateur de l’essai ADAURA :
« L’osimertinib est le premier inhibiteur de tyrosine kinase de l’EGFR à montrer un bénéfice significatif sur la survie globale dans une étude de phase III en situation adjuvante. »
Des données de survie sans évènement (décès ou progression) très prometteuses avaient été dévoilées en plénière en 2000 à l’ASCO. En 2023, avec un suivi médian de cinq ans, de nouveaux résultats montrent que l’administration de Tagrisso® durant trois ans, après résection complète de la tumeur, permet d’atteindre un taux de survie globale de 85 %, contre 73 % dans le groupe placebo, et une réduction du risque de décès de 51 %. « ADAURA est la première étude de phase III à montrer un bénéfice de survie globale statistiquement et cliniquement significatif avec une thérapie ciblée dans cette population de patients », s’enthousiasme Roy Herbst, directeur adjoint et chef de l’oncologie médicale au Yale Cancer Center et au Smilow Cancer Hospital, et principal investigateur de l’essai. De quoi, espère-t-il, convaincre les cliniciens qui n’avaient pas encore adopté cette stratégie. D’autres études seront toutefois requises pour déterminer pour quels patients cette durée de trois ans de traitement peut être raccourcie sans risque, ou s’il convient au contraire de l’allonger. Et pour véritablement parler de « guérison » plutôt que de rémission prolongée, un suivi plus long encore sera nécessaire.
Julie Wierzbicki