Thérapies CAR-T : des tensions capacitaires à anticiper
Des spécialistes s’inquiètent de la capacité des centres de soins français à faire face à la montée en charge attendue des traitements par CAR-T dans les prochaines années. Tout en saluant un maillage territorial déjà conséquent et la bonne prise en charge de ces thérapies.
Le webinaire organisé ce 11 décembre par le cabinet Nextep en partenariat avec le laboratoire Gilead, sur le thème des enjeux de l’accès à l’innovation en cancérologie, a mis en avant les CAR-T comme exemple d’innovation transformant autant le pronostic des patients que le parcours de soins. Après des débuts peu concluants (CAR-T de première génération), ces cellules immunitaires génétiquement modifiées ex-vivo pour cibler efficacement les cellules cancéreuses ont pris leur essor à partir des années 2010 (CAR-T de 2e génération). Elles s’imposent désormais comme standard de soin dans un nombre croissant d’indications en onco-hématologie. En France, depuis l’arrivée des premiers CAR-T en 2018, « plus de 5 000 patients en ont déjà bénéficié », rappelle le Dr Marion Alcantara, du centre d’immunothérapie des cancers à l’Institut Curie. Ce traitement personnalisé s’inscrit dans un protocole long et complexe, incluant plusieurs étapes de préparation du patient et des cellules en amont de l’injection de la thérapie, et, en aval, un suivi sur le long terme. « Il faut compter en moyenne un mois entre la décision de traiter et son administration », souligne-t-elle.
De nouveaux patients attendus
Le recours à ces thérapies est appelé à augmenter significativement à court terme, « du fait de la remontée des lignes de traitement et de l’élargissement attendu à de nouvelles indications », salue le député Michel Lauzzana, président du groupe d’études cancer de l’Assemblée nationale. La France dispose d’un maillage territorial dense, avec une quarantaine de centres de soins autorisée à délivrer des CAR-T. Mais « certains alertent déjà sur des problèmes capacitaires », rapporte le député. « On voit aujourd’hui des résultats prometteurs dans quelques tumeurs solides comme le neuroblastome, expose le Dr Alcantara. Et de plus en plus d’études montrent une efficacité dans des maladies auto-immunes comme le lupus : mais nous ne pourrons pas accueillir tous ces patients dans les services d’hématologie ! »
Selon l’étude CAP T conduite par IQVIA pour Gilead en juillet 2024 auprès de 23 des centres qualifiés français, 82 % d’entre eux anticipent une tension sur la disponibilité des lits et 68 % sur les ressources humaines à horizon 2027. Mais seul un tiers déclarait avoir déjà anticipé cette montée en charge attendue de l’activité.
Un accès inéquitable aux centres experts
La qualification repose sur des critères stricts inscrits dans la réglementation, « or celle-ci n’évolue pas aussi vite que les connaissances scientifiques et la pratique médicale », déplore Marion Alcantara. Ainsi par exemple, un centre ne peut être habilité que s’il dispose d’un accès (sur place ou à proximité) à une unité de greffe allogénique : une restriction qui n’est plus justifiée aujourd’hui, selon la praticienne. « Au moment de l’arrivée des CAR-T, certains effets indésirables ont pu nous surprendre. Mais aujourd’hui leur prise en charge est très protocolisée ». Elle en appelle ainsi à un allègement des critères d’habilitation des centres de soin.
Selon le Pr Isabelle Durand Zaleski, directrice de l’unité recherche clinique en économie de la santé à l’AP-HP, des inégalités d’accès à ce type de traitement perdurent en France malgré la prise en charge de son coût par l’assurance maladie et la densité du maillage. « Selon votre lieu de vie ou votre milieu socio-culturel, le délai d’adressage à un centre expert augmente, expose-t-elle. L’équité d’accès doit absolument être renforcée : les associations de patients ont certainement un rôle à jouer dans ce domaine. » Le prix élevé de ces thérapies semble plus facilement admis aujourd’hui, « les données de suivi en vie réelle contribuant à lever de plus en plus les incertitudes sur leur efficacité à long terme ». « Ce sont des thérapies qui guérissent des patients dans des situations complexes ! », insiste le Dr Alcantara.
De nouvelles modalités à venir
Malgré les difficultés actuelles et attendues, Marion Alcantara se montre optimiste. De nouvelles générations de traitements sont attendues, avec des CAR-T bispécifiques potentiellement plus efficaces, appelés à remplacer rapidement les thérapies actuelles. Et à plus long terme, l’avènement de CAR-T in vivo – permettant la production de ces cellules génétiquement modifiées directement dans le corps du patient – pourrait grandement alléger le parcours hospitalier du patient, « même si l’on peut s’attendre aux mêmes effets secondaires ».
Par ailleurs, « nous avons la chance en France de disposer d’un registre exhaustif de tous les patients traités par des CAR-T homologuées, DESCAR-T. Cette base de données de vie réelle est exceptionnelle : il serait utile d’en disposer pour tous les traitements très innovants… même si cela a un coût. »
Julie Wierzbicki




