Covid-19 : Adapter le vaccin aux nouvelles souches
Après 40 ans au sein de GSK Bio, le Belge Jean Stéphenne est depuis près d’un an président de la biotech allemande CureVac, qui travaille au développement d’un vaccin contre le Covid-19. Il détaille pour Pharmaceutiques sa vision de la crise sanitaire.
Pharmaceutiques : Où en est CureVac dans le développement de son candidat-vaccin contre le SARS-CoV-2 ?
Jean Stephenne : CureVac a commencé le développement de candidats-vaccins contre le Covid-19 à base d’ARN messager en janvier 2020, et nous avons fait des progrès remarquables en 12 mois ! Les essais cliniques de phase I et IIa ont débuté en juin et septembre 2020, respectivement. Les données intermédiaires de phase I rapportées en novembre 2020 ont montré que le candidat-vaccin était généralement bien toléré et induisait de fortes réponses anticorps en plus de la première indication d’activation des lymphocytes T. En décembre, nous avons lancé une étude pivot de phase IIb/III. Nous attendons des données d’efficacité au courant du mois d’avril. Le processus de « rolling review » a démarré avec l’EMA, ce qui permet un examen accéléré. Nous avons conclu plusieurs partenariats stratégiques pour la poursuite du développement, de la production et de la commercialisation, notamment avec Bayer en janvier 2021. Nous anticipons la production d’un total de 400 millions de doses en 2021 et de plus de 1 milliard en 2022. Nous avons certes quelques mois de retard sur BioNtech ou Moderna, qui sont allés très vite grâce au soutien de la BARDA, mais il y a de la place pour plusieurs acteurs compte tenu de la demande. La Commission européenne a passé en novembre dernier un contrat sur l’achat de 225 millions de doses de notre candidat, ainsi qu’une option sur 180 millions de doses supplémentaires.
Pharmaceutiques : Vous venez d’annoncer des accords pour développer des candidats-vaccins contre les nouveaux variants du virus. Comment se préparer à cette nouvelle menace?
JS : L’un des plus grands défis auxquels nous continuons de faire face dans la lutte contre le Covid-19 est l’émergence de multiples variants, chacune d’entre eux représentant une menace potentiellement importante pour la santé publique. Le 3 février, CureVac et GlaxoSmithKline ont conclu un accord d’un montant allant jusqu’à 150 millions d’euros pour développer conjointement des vaccins à ARNm multivalents de nouvelle génération contre le Covid-19. Le développement de nouveaux vaccins candidats vient d’être renforcé le 5 février par un partenariat avec le gouvernement britannique et son groupe de travail sur les vaccins (UK Vaccines Task Force, VTF). Ces derniers ont été à l’avant-garde de la surveillance et du développement de vaccins pendant cette pandémie. Les anglais ont un réseau de surveillance des variants parmi les plus développés au monde. Chez CureVac, nous pensons avoir la capacité d’adapter rapidement notre technologie d’ARNm pour traiter les variants, sans changer le processus de production, et ainsi nous préparer à l’émergence de nouvelles souches. Les études cliniques seront accélérées au Royaume-Uni afin d’obtenir des autorisations de mise sur le marché d’urgence ou conditionnelles pour des vaccins candidats sélectionnés contre les variants les plus menaçants. La collaboration avec GSK bénéficiera également des variants développés avec le VTF.
Pharmaceutiques : Quelle est votre vision de la stratégie vaccinale à mettre en place avec l’émergence de ces variants ?
JS : Etant donné qu’une part de plus en plus importante de la population acquiert une immunité contre le SARS-CoV-2, naturelle ou via la vaccination, il est normal de voir émerger des variants. Mais je suis confiant dans le fait que les coronavirus ne mutent pas comme celui de la grippe et qu’un bon vaccin par l’induction tant humorale que cellulaire, et avec des taux de protection élevés freineront l’émergence de variants. Il faut aller vite avec une vaccination de masse, pour protéger les plus à risque mais aussi pour acquérir une immunité collective, pour que la circulation virale diminue. La stratégie vaccinale sera certainement de booster les vaccinations avec des souches adaptées en cas de changement de séquence importante. Nous cherchons à minimiser la dose d’ARN de nos vaccins – déjà beaucoup plus faible que celle de nos concurrents -, afin de mettre au point un sérum combinant plusieurs souches. Voire d’envisager de le combiner avec un futur vaccin ARN contre la grippe.
Pharmaceutiques : Cette stratégie est-elle possible dans les pays en développement ?
JS : L’étape suivante sera d’aller partout dans le monde, en réduisant les contraintes logistiques. Notre vaccin se conserve trois mois à 4°C, ce qui est compatible avec une campagne de vaccination d’urgence, y compris dans des pays d’Amérique latine par exemple. Il faudra toutefois mettre en place une autre logistique pour un vaccin récurrent.
Propos recueillis par Juliette Badina