Olivier Bogillot, président de Sanofi France : « Plus que jamais, mobilisés ! »
Président de Sanofi France, Olivier Bogillot répond avec précision aux critiques formulées contre le groupe au moment de l’annonce des retards sur son vaccin contre la Covid-19. Et il réaffirme l’engagement fort de l’entreprise contre la pandémie.
Sanofi a été beaucoup critiqué il y a quelques semaines sur les retards de son programme de vaccination contre la Covid-19. Etes-vous toujours dans la course ?
Bien entendu, et il faut en premier lieu rappeler le contexte de l’engagement de Sanofi dans la lutte mondiale contre cette pandémie. Parmi les quatre grands opérateurs historiques dans le domaine du vaccin, le groupe est le seul à mener des travaux sur deux candidats-vaccins, à partir de son propre outil de recherche. Notre stratégie, orientée par notre savoir-faire acquis depuis plusieurs décennies, s’est orientée en priorité sur un candidat-vaccin à protéine recombinante adjuvée, mené en partenariat avec GSK. Notre calendrier initial prévoyait un développement de ce produit en 18 à 24 mois, finalement raccourci à 15 mois grâce à l’agilité déployée par nos équipes de R&D, ce qui permettait d’envisager une mise sur le marché en juin/juillet de cette année. Il est vrai que nous avons dû interrompre cet automne la phase II de l’étude clinique, en raison d’une réponse immunitaire insuffisante chez les patients les plus âgés inclus dans l’étude. Ce type d’aléa est fréquent dans le parcours complexe de la mise au point d’un vaccin et d’autres entreprises engagées dans ce combat ont pu subir les mêmes difficultés. Aujourd’hui, et nous avons pu l’annoncer officiellement le 22 février dernier, une nouvelle phase II est lancée. Avec 720 patients, elle visera à tester le potentiel d’une formulation d’antigènes affinée, dans le but d’obtenir une meilleure réponse immunitaire, notamment chez les plus âgés. Si des résultats positifs sont obtenus, l’étude de phase III débutera dès le second trimestre. Et le vaccin pourrait être disponible au dernier trimestre 2021.
Vous êtes également présent sur la technologie des vaccins à ARNm. Comment se déroulent les travaux actuels, et avec quelle échéance de marché envisagée ?
En effet, nous sommes bel et bien présents sur la piste du vaccin à ARNm, et tout se déroule selon nos prévisions initiales, contrairement à ce que j’entends ou je lis parfois. Non, nous n’avons pas ”raté” le virage de cette technologie. Nous développons un projet avec la biotech Translate Bio, avec laquelle nous avons signé un partenariat en 2018. Des données précliniques encourageantes ont montré que deux injections du vaccin à ARNm induisent la production d’une concentration élevée d’anticorps neutralisants, comparables aux concentrations situées dans la fourchette supérieure observées chez des sujets humains infectés. Nous prévoyons de débuter une étude de phase I/II au premier trimestre de 2021. Si tout se passe bien, ce produit pourrait obtenir son enregistrement en 2022.
Ces décalages permettent-ils d’espérer la mise au point de formules vaccinales plus adaptées aux caractéristiques des nouveaux variants, appelés à devenir dominants dans les prochaines semaines ?
C’est trop tôt pour le dire. Ce qui est certain, c’est que le fait d’être en décalage permet d’apprécier différemment la dynamique épidémiologique. Parallèlement au développement de nos deux vaccins Covid-19, nous avons commencé des recherches sur les nouveaux variants. Des données récentes montrent que la technologie recombinante peut être la plus protectrice contre les nouvelles variantes du virus. Des patients atteints par les variants britanniques, sud-africains et brésiliens, seront intégrés dans nos essais. Nous chercherons à ajuster en continu le développement clinique de nos produits. C’est d’autant plus essentiel que la lutte contre cette épidémie nous oblige, industriels, à préparer plusieurs batailles. La guerre sera sans doute loin d’être achevée en 2021, notamment dans les pays qui n’auront pas eu les doses suffisantes pour protéger l’intégralité de leurs populations. Les infectiologues ne cessent de le répéter : il faudra traquer le virus partout où il est présent, afin de réduire le risque de foyers endémiques.
Sanofi s’est également positionné pour mettre à disposition certaines de ses unités de production pour fabriquer des vaccins développés par des concurrents. Pourquoi ce choix ?
Parce que, face à la menace mondiale provoquée par la pandémie, des entreprises comme la nôtre se doivent d’avoir une attitude citoyenne, au service de la santé publique. Parce que nous avons le savoir-faire et les capacités nécessaires pour accélérer la mise à disposition de doses de vaccins efficaces pour le plus grand nombre. Nous menons actuellement les opérations de qualification pour produire le vaccin Pfizer/BioNTech sur notre site de Francfort, avec l’objectif de délivrer plus de 125 millions de doses en fin d’année. Je soulignerai qu’entre le moment où nous avons eu l’information des retards sur notre vaccin à protéine recombinante adjuvantée et la décision de proposer notre outil industriel, il s’est déroulé moins d’un mois. L’OMS a d’ailleurs salué l’implication de Sanofi dans la lutte contre le virus. Nous avons par ailleurs annoncé, le 22 février, que nous allons également fabriquer le vaccin de J&J sur notre site de Marcy-L’Etoile. Une fois que nous aurons obtenu les agréments nécessaires, nous serons en mesure de produire 12 millions de doses par mois, dès 2021, une fois que J&J aura obtenu l’AMM. Sanofi n’est peut-être pas le premier sur le marché du vaccin, mais il contribuera de façon majeure à protéger les populations.
Que souhaitez-vous répondre à ceux qui estiment que les retards de Sanofi témoigneraient d’erreurs de stratégie dans les années passées ?
Je leur répondrai que ce procès à charge est injuste sur bien des points. A l’origine, et par son histoire, Sanofi est un groupe essentiellement centré sur la chimie. Quand des solutions de biotechnologie innovantes ont commencé à émerger au début des années 2000, notre groupe possédait dans son portefeuille des blockbusters à très fort potentiel de marché, qui lui ont assuré une forme d’âge d’or durant cette première décennie du siècle. Mais nos dirigeants se sont interrogés sur la stratégie dès la fin annoncée des brevets sur ces produits, à partir de 2011. Un vaste programme de transformation du groupe a alors été lancé, poursuivi et amplifié depuis 10 ans, fondé sur la recherche d’opportunités dans le champ des biotechnologies. Bien entendu, des accords envisagés n’ont pu finalement se réaliser. Bien sûr, certains de nos concurrents ont pu réussir là où nous n’avons pas abouti. C’est la vie des entreprises. Mais, depuis l’arrivée de Paul Hudson, la phase de transformation du groupe s’est considérablement accélérée. En un an, plus de 6 milliards d’euros d’acquisitions ou de partenariats ont pu être signés et nous n’avons jamais autant investi en R&D (12 milliards d’euros sur les deux dernières années). Nous disposons par ailleurs dans notre pipe-line de produits très prometteurs, comme le Dupixent®, un médicament qui peut potentiellement dégager 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Je le pense sincèrement : il faudra compter avec le nouveau visage de Sanofi dans la décennie qui s’ouvre.
En janvier, certaines voix se sont élevées pour dénoncer un plan de suppression de 1 000 postes en Europe, avec notamment la disparition de 364 postes de chercheurs en France. Etes-vous toujours une entreprise dédiée à la recherche ?
Plus que jamais, et il ne faut pas se laisser déstabiliser par l’exploitation que tel ou tel politique peut faire de ce type d’information. Le plan que vous évoquez date de juillet dernier, il porte sur un projet de départs volontaires, il n’y aura aucun licenciement. Un groupe comme le nôtre, pour mener à bien la transformation nécessaire à la pérennité de son projet industriel, doit parfois prendre ce genre de décisions. Les salariés qui feront ce choix seront accompagnés. Surtout, il ne signifie en rien que nous renonçons à la recherche, bien au contraire. Nous continuerons à recruter, en quête de nouveaux talents et de nouvelles compétences. La dynamique de transformation d’un groupe tel que Sanofi repose bien sûr sur des investissements technologiques, mais également sur un pari de long terme en matière de capital humain. Là encore, il faudra compter sur la capacité du groupe à mobiliser de nouvelles énergies au service de l’innovation, sous toutes ses formes.
Propos recueillis par Hervé Réquillart