Microbiote : des effets incontestables sur la santé
Grâce à l’explosion des recherches sur le microbiote humain, on comprend de mieux en mieux son impact dans nombre de pathologies. Au point de l’utiliser comme un marqueur diagnostic et pronostic ? Les experts invités par Pharmaceutiques font le point.
« Le microbiote ne se limite pas aux bactéries : il s’agit de tout un ensemble de micro-organismes, que l’on retrouve dans de nombreux organes », expose d’emblée le Pr Karine Clément, médecin et professeur en nutrition à Sorbonne Université et directrice d’une unité Inserm. En ouverture de la première table ronde du colloque « Microbiote, un nouveau continent à explorer », organisé le 16 février par Pharmaceutiques (1), elle rappelle l’importance du dialogue établi entre le microbiote et son hôte mais aussi avec son environnement. Particulièrement étudié, le microbiote intestinal joue un rôle crucial dans de nombreuses fonctions physiologiques, comme la digestion ou la maturation du système immunitaire.
Chercheur en écologie microbienne intestinale à l’institut Micalis et directeur scientifique du centre d’excellence en analyse du microbiome MetaGenoPolis de l’Inrae (2), Joël Doré évoque une « troisième révolution », après celles constituées par la caractérisation des micro-organismes et la vision globale du microbiome (l’ensemble du génome des organismes du microbiote). « Aujourd’hui on dispose des outils pour étudier la symbiose microbiote-hôte, qui est absolument essentielle. » MetaGenoPolis propose à cette fin des outils pour la recherche académique, clinique ou industrielle.
La diversité prime
Les recherches ont permis d’établir des corrélations entre l’état du microbiote et de nombreuses pathologies. Mais « l’enjeu est moins le nombre de micro-organismes que la diversité du microbiote », insiste Karine Clément. En collaboration les équipes de l’Inrae, celle-ci a particulièrement étudié les liens entre microbiote et obésité, montrant une relation entre la prise de poids et la baisse de la diversité microbienne. Un déséquilibre des écosystèmes est aussi corrélé à la survenue de complications, comme un état inflammatoire persistant ou une hausse de la résistance à l’insuline, elles-mêmes contribuant à la maintenance et à l’aggravation de l’obésité.
Le Pr Gabriel Perlemuter, chef du service hépato-gastro-entérologie et nutrition de l’Hôpital Antoine-Béclère de Clamart, a également étudié l’impact du microbiote sur la susceptibilité à développer une maladie hépatique en cas de consommation d’alcool. « Les maladies sont à la fois génétiques et environnementales. Tenir compte du microbiote intestinal est crucial pour la prise en charge des malades, affirme le médecin. « Le microbiote intestinal joue un rôle dans l’ensemble des maladies digestives, par de multiples mécanismes, comme la production de métabolites, l’inflammation, la perméabilité de l’intestin, l’immunité… »
Peut-on modifier l’histoire naturelle de la maladie en modifiant le microbiote intestinal ? « Il y a sûrement un microbiote délétère, mais je ne sais pas s’il existe un « microbiote idéal » », tempère-t-il. Ainsi, deux personnes avec des microbiotes intestinaux similaires ne développeront pas forcément la même maladie. Et dans certaines pathologies complexes comme le syndrome de l’intestin irritable, agir sur le microbiote intestinal ne suffit pas, car le fonctionnent cérébral joue aussi un rôle majeur.
Du diagnostic au développement thérapeutique
Des expériences de transfert de microbiote humain vers des modèles animaux ont mis en lumière d’autres pistes hors du champ des maladies intestinales ou métaboliques : par exemple, l’existence d’une dysbiose dans des pathologies neuropsychiatriques comme l’autisme. « On a aussi pu associer une faible diversité du microbiote et une mauvaise réponse aux immunothérapies anti-cancéreuses : cela a déjà induit des changements de pratique, par exemple dans la prise d’antibiotiques », rappelle Joël Doré.
Marie-Christine Chevallier Multon, qui a passé plus de trente ans dans l’industrie pharmaceutique (de Rhône-Poulenc à Sanofi), a introduit il y a une dizaine d’années la thématique du microbiote dans un réseau d’immunologistes qu’elle animait au sein du groupe pharmaceutique français, avec l’idée de sensibiliser ses collègues à l’impact du microbiote tout au long de la chaîne du développement du médicament. « On dispose désormais de marqueurs de réponse à certains traitements à partir de signatures génomiques du microbiote, ça peut être un facteur d’accélération des essais cliniques ».
Marie-Christine Chevallier Multon a rejoint le groupe de travail sur le microbiote du pôle de compétitivité Medicen, créé en 2020, qui travaille actuellement sur des recommandations pour les industriels sur la mise en place de tests d’interaction entre médicaments et microbiote. « De très nombreux médicaments, non classés comme antibiotiques, ont un effet délétère sur le microbiote, par exemple les inhibiteurs de la pompe à protons, insiste-t-elle. Et à l’inverse, le microbiote peut agir, positivement ou négativement, sur la métabolisation des médicaments. »
Julie Wierzbicki
(1) Colloque organisé avec le soutien de Biocodex et le partenariat institutionnel de Medicen et Lyonbiopôle
(2) Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement
Pour en savoir plus, retrouvez le dossier « Microbiotes : une médecine à construire » dans le numéro 303 (janvier 2023) de Pharmaceutiques.