Accès aux médicaments : la France en perte d’attractivité
Le Leem a mis en place le 1er Observatoire de l’accès aux médicaments et de l’attractivité en France, dont il a officialisé le lancement le 27 juin. Les résultats de cette première édition, confiée au cabinet Roland Berger, placent la France comme « un élève très moyen de l’Europe ».
Un bilan en demi-teinte. L’Observatoire de l’accès aux médicaments et de l’attractivité de la France, mis en place par le Leem suite à la Loi de Financement de la Sécurité Sociale 2023, en partenariat avec le cabinet Roland Berger, a livré ses premiers résultats (1). « La disponibilité des nouveaux médicaments en France est significativement moindre qu’en Allemagne, en Italie ou en Angleterre, en partie en raison de délais de négociation plus élevés et de conditions économiques défavorables », a indiqué Thierry Hulot, président du Leem. Au 31 décembre 2022, 34 % des médicaments ayant reçu une AMM européenne entre 2018 et 2021 n’étaient pas disponibles en France. Aussi, les délais pour la mise sur le marché sont très éloignés de la cible de 180 jours fixée par la directive européenne Transparence, malgré une amélioration de 22 jours entre 2019 et 2022 du délai médian d’évaluation des dossiers par la HAS. Le délai médian de négociation avec le CEPS et de parution au JO a, lui, crû de 96 jours sur la même période. 13 % des dossiers ayant reçu une AMM entre 2017 et 2021 sont toujours en négociation ou en attente de publication. « On peut légitimement s’interroger sur la probabilité de succès de la négociation de prix après plus de 500 jours, indique le président du syndicat d’industriels. Sans l’inscription au remboursement, ces médicaments se retrouvent en impasse d’accès et c’est autant de pertes de chance des patients français ». A titre d’exemple, le Leem cite les cinq dernières innovations de la classe des antipsychotiques, et les trois nouveaux traitements de fond de la migraine, disponibles dans les principaux pays européens, sauf en France.
Des dispositifs innovants et performants
Les dispositifs d’accès précoce (AP) permettent cependant d’accélérer significativement l’accès des premiers patients aux médicaments, avant l’évaluation du dossier de remboursement par la HAS et la négociation de prix. Ces mécanismes sont toutefois réservés à des médicaments présumés innovants dans le cas de maladies rares, graves ou invalidantes, lorsqu’aucun traitement approprié n’est disponible et qu’il y a urgence à traiter. Il reste donc limité en termes d’indications et de nombres de patients concernés. Ces accès dérogatoires concernent 17 % des médicaments ayant reçu une AMM entre 2018 et 2021 et ont bénéficié à 51 000 patients entre juillet 2021 et mars 2023. Il permet de réduire de 295 jours le délai d’accès moyen en France, passant de 508 (hors autorisation temporaire d’utilisation et AP) à 213 jours. Mais « 20 % des médicaments ayant bénéficié d’un AP, qui arrivent très tôt sans étude comparative, n’obtiennent pas de preuves suffisantes de leur efficacité et se voient octroyer une ASMR V (absence de progrès thérapeutique) », a relevé Eric Baseilhac, directeur des affaires économiques et internationales du Leem, d’après les données de l’observatoire. Selon lui, l’une des solutions pourrait être que « la HAS soit autorisée à statuer plus tard pour ces médicaments, afin de laisser le temps aux industriels de collecter davantage de données ». Il considère que l’absence de cohérence entre la procédure d’AP et le financement de ces innovations reste le point noir du dispositif.
Le Leem compte surveiller les impacts du nouveau dispositif d’accès direct, « pour lequel 12 produits seraient actuellement éligibles », dans les prochaines éditions de son observatoire. Cette expérimentation prévue par la LFSS 2022 doit permettre un accès post-HAS à la prise en charge, avant la conclusion d’un accord de prix avec le CEPS pour le remboursement de droit commun, pour une durée maximale d’un an. Selon Christophe Durand, président de la commission accès du Leem et directeur général de Bristol Myers Squibb (BMS), il manque « un accord conventionnel spécifique à ce dispositif ».
Un cadre budgétaire à refondre
Autre phénomène relevé dans l’Observatoire : ces dernières années, les ruptures d’approvisionnement sur les médicaments courants se sont multipliées, mettant en jeu dans un tiers des cas des phénomènes de compétition entre les marchés. La principale cause rapportée est la fragilisation de l’équilibre économique. Thierry Hulot attend « au plus vite » les conclusions de la mission d’experts, nommée par la Première ministre Elisabeth Borne, sur le système de financement et de régulation des produits de santé. « Et il faudra que les décisions budgétaires qui seront prises à l’automne dans le cadre du PLFSS 2024 soient en cohérence avec les ambitions affichées par le gouvernement dans le cadre du Plan Innovation santé 2030 qui doit faire de la France la première nation européenne innovante et souveraine en santé, exprime-t-il. Nous y serons très attentifs. » L’industrie pharmaceutique française est un secteur économique en perte de vitesse à l’international malgré des investissements importants dans la R&D et la production. La France est distancée de l’Allemagne, leader européen, dans la production de princeps biologiques (13 des nouveaux médicaments ayant obtenu une AMM entre 2017 et 2022 sont produits sur le territoire français, contre 32 en Allemagne), génériques (4 versus 29) et biosimilaires (2 versus 13).
Juliette Badina
(1) Les données émanent des bases de la HAS, de l’ANSM, du Journal officiel (JO) ainsi que du EFPIA Patients WAIT Indicator 2022 Survey