Isabelle de Cremoux (Seventure Partners) : « Le microbiote est le premier rempart. »
Composée d’une quinzaine de parties prenantes publiques et privées, l’Alliance Promotion Microbiote a officiellement été lancée le 29 mars 2021. Parmi ses membres figure un investisseur, Seventure Partners, dont la présidente Isabelle de Cremoux a publié le même jour une synthèse bibliographique sur les liens entre la pandémie de Covid-19 et le microbiome humain. Pour Pharmaceutiques, elle présente sa vision de cette nouvelle « révolution » que constitue la médecine fondée sur le microbiome.
Depuis sept ans vous avez orienté votre stratégie d’investissement vers les entreprises actives dans le microbiome (1) et avez créé deux fonds dédiés en 2014 et 2019. Pouvez-vous nous rappeler les raisons de ce choix ?
Isabelle de Cremoux, présidente de Seventure Partners : Dans notre activité d’investissement, nous analysons quels sont les domaines les plus prometteurs pour les cinq-dix années à venir, pour y investir proactivement. Parmi les nouvelles tendances que nous avons vu émerger, nous avons compris que le sujet du microbiome allait prendre une place considérable, aussi bien au plan thérapeutique que sur le diagnostic et le suivi des maladies : quelque chose d’aussi important que la cartographie du génome humain ! Et ce secteur s’est développé à une vitesse bien supérieure à ce que l’on s’était imaginé. Nous avons soutenu ce développement, en investissant dans vingt sociétés avec notre fonds Health for Life Capital™ (160 M€), et nous prévoyons d’investir dans vingt autres avec Health for Life Capital™ II (plus de 200 M€). En incluant les co-investissements réalisés par nos véhicules financiers plus généralistes, c’est plus du tiers des 850 M€ gérés par Seventure qui sont dédiés aux sociétés actives dans ce champ, ce qui positionne la société de gestion française comme leader mondial du domaine.
Isabelle de Cremoux, présidente de Seventure Partners :
« Il faut faire prendre conscience aux décideurs que la France a tous les atouts pour redevenir un leader mondial dans le champ du microbiome. »
Votre rapport (2), qui dresse le bilan des connaissances actuelles sur les interactions entre l’infection par le SARS-Cov-2 et le microbiome humain, se conclut par un avertissement sur l’émergence d’une « crainte des microbes ». Un discours à contre-courant des préconisations sanitaires de l’année écoulée ?
Il y a une vraie différence entre vouloir éviter la propagation des germes (via les « gestes barrières ») et les éradiquer (en nettoyant constamment chaque surface par exemple). La façon dont l’homme doit gérer son rapport aux micro-organismes repose sur un subtil équilibre. En un siècle l’espérance de vie humaine a augmenté de trente ans, grâce à l’hygiène, aux antibiotiques… et au réfrigérateur qui a permis une meilleure conservation des aliments. Mais dans le même temps, on a vu une explosion des maladies chroniques ou auto-immunes : selon moi, c’est parce que l’on est sans doute allé un peu trop loin dans l’hygiénisme. Avoir un microbiote en bonne santé, diversifié, abondant, est le premier rempart contre les infections, avant même le système immunitaire. Le microbiote joue notamment un rôle fondamental dans l’établissement et l’éducation du système immunitaire de l’enfant, au cours des trois premières années de sa vie.
C’est aussi un appel à investir dans ce champ, appel que vient appuyer la création de l’Alliance Promotion Microbiote, dont Seventure est membre. Quels sont ses objectifs ?
Seventure en est en effet le seul membre investisseur, aux côtés de PME (dont certaines que nous soutenons) mais aussi d’infrastructures nationales comme l’INRAe (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), Lyonbiopôle ou l’institut Bioaster. L’idée est d’unir nos forces pour mieux faire connaître ce domaine et ses enjeux spécifiques, comme la production de solutions thérapeutiques à base d’organismes vivants, avec parfois des défis technologiques majeurs à résoudre (par exemple la culture de bactéries anaérobies), le recueil et la conservation des échantillons, le statut réglementaire des microorganismes suivant qu’ils sont propres à l’Homme ou communs à d’autres espèces… Surtout, nous voulons attirer l’attention des pouvoirs publics sur ce secteur en France ! Les Etats-Unis ont compris de longue date tout le potentiel et les moyens sont mis, les sociétés cotées au Nasdaq sont extrêmement bien valorisées. La France, elle, s’est fait distancer : il faut réveiller les décideurs, leur faire prendre conscience qu’avec nos instituts de recherche et notre écosystème d’entreprises, nous avons tous les atouts pour redevenir un leader mondial. Nous demandons juste un petit coup de pouce : par exemple faciliter le dialogue entre les sociétés et les autorités de santé, et que le microbiome fasse partie des thèmes d’innovations vers lesquels sont fléchées les subventions.
Propos recueillis par Julie Wierzbicki
(1) Le microbiote humain désigne l’ensemble des microorganismes qui colonisent le corps humain ; le microbiome est le génome du microbiote.
(2) Le rapport « The Covid-19 pandemic and the human microbiome » est disponible sur demande auprès de son auteur via LinkedIn.