Philippe de Pougnadoresse
Heureux qui, comme Ulysse…
Le DG France d’Ipsen s’appuie sur son expérience acquise à l’étranger pour poursuivre le développement de la première filiale du groupe français, orienté à l’international mais viscéralement attaché à ses origines.
Huit pays, trois secteurs différents, cinq types de postes… Les voyages forment la jeunesse… mais aussi la capacité à acquérir du leadership en élargissant ses horizons. C’est, en tous les cas, ce qu’illustre la variété du parcours de Philippe de Pougnadoresse, diplômé de l’EDHEC (option finances) en 1994, débutant comme contrôleur de gestion chez L’Oréal en Grèce en 1995, et jusqu’à sa nomination comme vice-président et DG France d’Ipsen en 2021. Entre-temps, ses trente ans de carrière, dont vingt-et-un à l’étranger, lui auront permis de s’enrichir en découvrant du pays. « Après six ans chez L’Oréal, où j’ai beaucoup appris en enchainant des fonctions en finance, au commercial puis au marketing, j’ai eu la chance avant d’intégrer le MBA de l’INSEAD, de vivre une expérience marquante au Cambodge, au sein de l’association Les Enfants du Mékong. » Une prise de distance, durant un an, qui va l’aider à fortifier ses valeurs et ses convictions. « J’ai eu un choc terrible, quand j’ai su que ma voisine avait dû ”vendre” sa fille à un réseau de prostitution pour financer le traitement de son fils atteint d’une tumeur au cerveau. » Il prend conscience d’être un privilégié, qui doit s’engager au service des autres. « Je réalise aussi que la santé est un bien vital et essentiel, dans un pays où très peu d’habitants ont accès aux soins. »
Nourri de cultures différentes
De retour en France, sa conviction est faite : c’est dans le champ de la santé qu’il entend s’engager. « C’était l’époque du procès de Pretoria. J’ai perçu l’événement comme un point de bascule, quand la pharma a compris qu’elle devait porter une responsabilité sociale et sociétale vis-à -vis des patients. » Il entre alors chez Novartis, où il passera 18 ans. « Je dois beaucoup à cette entreprise, qui m’a offert la possibilité de me développer, sur des fonctions et des marchés différents. » Suisse, Australie, Vietnam, Belgique… et bien sûr les Etats-Unis, où il vivra deux ans à San Francisco. « Je me suis nourri de cultures très différentes. C’est un véritable atout, selon moi, pour ouvrir la perspective, comprendre la grande hétérogénéité des systèmes de santé, et pouvoir ainsi prendre les bonnes décisions. » Aux Etats-Unis, il fait également l’apprentissage d’un état d’esprit qui l’aidera dans son parcours de manager : la ”Can Do Attitude ». « Cette notion du ”je peux le faire” guide à chaque instant mes actions, et elle se nourrit du feed back de ceux qui m’entourent. Je crois profondément que le secteur pharmaceutique, qui a longtemps fonctionné en silo, doit se transformer en étant plus attentif au monde qui l’entoure. J’essaie de transmettre ces valeurs d’écoute et de partage avec les équipes que je dirige. »
Retour au pays
Fort de cette expérience menée sur quatre continents, il revient au ”port d’attache” en 2021. « Il était temps, pour ma famille, pour moi, de renouer avec nos racines. » Outre son pays d’origine, il retrouve un projet personnel qui leur tient à cœur : la rénovation de la maison familiale, datant du XIIème siècle et implantée dans le Forez, près de Saint-Etienne. Côté professionnel, l’arrivée chez Ipsen s’impose comme une évidence. « Le groupe est totalement en phase avec mon parcours, mais également avec les valeurs que je veux porter. C’est une entreprise à taille humaine, bâtie sur un modèle d’entrepreneuriat familial, et résolument internationale. Et elle est très engagée aux côtés des patients, notamment dans le domaine des maladies rares. »
Ipsen, champion du Made In France
Avec plus de 3 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 5500 personnes à travers le monde, le groupe Ipsen réalise la très grande majorité de ses ventes à l’étranger. « Mais il reste très ancré en France, qui représente 30% des emplois, 50% des investissements en R&D et près 60% de la production mondiale en valeur. » Pour Philippe de Pougnadoresse, « Ipsen est un champion du ”made in France”, mais également de l’excellence en R&D et en production. Notre site de Signes, dans le Var, spécialisé dans l’injectable, a reçu le ”Shingo d’or en 2021. Il s’agit d’un prix d’excellence opérationnelle, décerné pour la première fois à une entreprise française. » Autre illustration de l’empreinte nationale qui caractérise le groupe, il a pris une décision peu courante, en 2020 : le rapatriement, à Signes également, de la production d’un anticancéreux, jusque-là fabriqué à Boston.
Trois aires thérapeutiques
Ipsen est présent dans trois aires thérapeutiques. L’oncologie, d’abord, qui représente 85% de son activité, avec des molécules proposées dans le cancer du rein, le cancer de la prostate et les tumeurs neuroendocriniennes. Second domaine, le groupe s’illustre également dans les neurosciences, avec la commercialisation d’une toxine botulique, indiqué notamment dans la spasticité. « Typiquement, elle s’adresse à des personnes qui ont été mal irriguées à l’occasion d’un accident à la naissance, ou à des victimes d’AVC et qui souffrent d’un membre bloqué. Grâce à l’injection de la toxine botulique, des personnes âgées peuvent retrouver du mouvement dans des gestes du quotidien, par exemple tenir la main de leur petit-enfant ou encore porter un sac. » Enfin, dans le domaine des maladies rares, le portefeuille d’Ipsen s’étoffe dans les maladies rares du foie, chez l’enfant et chez l’adulte.
Accroître le potentiel d’innovation
Fier d’avoir rejoint ce groupe « inspirant », Philippe de Pougnadoresse souhaite contribuer à sa transformation, menée depuis 2020 par son CEO, David Loew. « L’entreprise s’organise pour accroître son potentiel d’innovation. Cela passe par l’externalisation de notre R&D, via une politique d’acquisition ciblée, des partenariats stratégiques avec la communauté scientifique, et des liens étroits avec les associations de patients, partout dans le monde. Nous avons l’ambition de proposer une offre globale de solutions de santé et d’accompagner leur bon usage au plus près du quotidien des patients. » A la tête de la filiale France, il conduit également un programme baptisé « Doing Good ». « L’idée est de s’appuyer sur le haut niveau de compétence des équipes, mais également sur leurs qualités humaines, pour réussir ensemble un beau challenge : aligner la performance business et notre impact sociétal pour améliorer davantage encore nos services aux patients. »
Le French Paradox
Comme tous les dirigeants de l’industrie pharmaceutique en France, il s’interroge sur les paradoxes du système de santé hexagonal. « Nous vivons dans un pays formidable et nous avons, en France, la chance de bénéficier d’une couverture maladie parmi les plus généreuses et les plus équitables au monde. La stratégie du gouvernement pour le médicament, investissement nécessaire à l’avenir de notre pays, n’est pas à la hauteur des enjeux posés par l’innovation. L’accès des patients aux nouveaux médicaments est entravé par des délais de validation trop lents et par une politique de prix peu attractive. » A l’instar des entreprises du G5 Santé, dont Ipsen est partie prenante, il appelle les pouvoirs publics à tenir leurs engagements pour la souveraineté sanitaire de notre pays. «Nous attendons toujours la mise en œuvre effective des majorations / maintiens de prix a minima pour les spécialités pharmaceutiques fabriquées sur notre territoire. Il faut également appliquer un moratoire sur les baisses de prix pour les médicaments essentiels, et revoir à la baisse une clause de sauvegarde devenue confiscatoire et qui freine les nouveaux investissements dans l’Hexagone » En jeu : la position de notre pays sur le marché pharmaceutique mondial.
Hervé Requillart