Les scientifiques invités à « choisir l’Europe »

Les grandes lignes de l’initiative « Choose Europe for Science », réponse européenne face aux attaques de l’administration américaine contre la science, ont été présentées ce 5 mai lors d’un évènement organisé à Paris. En réaction, les chercheurs saluent l’indispensable rappel de l’attachement de la France et de l’Europe à la liberté académique, mais estiment que les moyens annoncés ne sont pas à la hauteur des enjeux.
« Nous voulons lancer un appel de la Sorbonne, qui s’adresse à tous les esprits libres qui veulent œuvrer pour la science et défendre notre modèle ». Ainsi le président français Emmanuel Macron a-t-il conclu la matinée d’échanges organisée ce 5 mai dans la vénérable université parisienne, sur le thème de la liberté académique. Cet évènement, qui a rassemblé un aéropage international de dirigeants politiques, scientifiques et industriels, s’inscrit en réponse aux inquiétudes de la communauté scientifique face aux attaques de l’administration américaine, depuis la réélection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. Mais aussi au souhait exprimé par les ministres de la Recherche de 13 pays européens (dont la France) dans une lettre ouverte, le 19 mars dernier, à la commissaire européenne aux startups, à la recherche et à l’innovation, Ekaterina Zaharieva, d’une réponse européenne coordonnée.
100 millions d’euros pour la France, 500 M€ pour l’Europe
La France avait déjà mis en œuvre une première action avec le lancement le 18 avril dernier de la plateforme « Choose France for Science », opérée par l’Agence nationale de la recherche dans le cadre de France 2030, pour inviter les chercheurs étrangers à postuler en France. « Plusieurs centaines de dossiers sont ouverts », se réjouit Emmanuel Macron. Un « financement spécifique » supplémentaire de 100 millions d’euros pour faciliter l’accueil de ces chercheurs est annoncé ce jour, assorti de l’assurance qu’« un chercheur étranger ne remplacera pas un chercheur français ou européen ».
L’Union européenne déploiera quant à elle l’initiative « Choose Europe for Science ». « Nous proposerons une nouvelle enveloppe de 500 millions d’euros pour la période 2025-2027 afin de faire de l’Europe un pôle d’attraction pour les chercheurs », a ainsi annoncé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Cette enveloppe devrait notamment financer la création d’une « super-subvention » d’une durée de sept ans dans le cadre du Conseil européen de la recherche, destinée aux meilleurs chercheurs. Le montant de la bourse reçue par les scientifiques s’installant en Europe sera doublé en 2025, avec une reconduction souhaitée en 2026 et 2027. Les aides destinées aux jeunes chercheurs dans le cadre des actions Maria Sklodowska-Curie devraient aussi être amplifiées.
Une législation et des infrastructures renforcées

« Nous croyons que la diversité est un atout de l’humanité et l’élément vital de la science. Elle est l’un des biens mondiaux les plus précieux et elle doit être protégée », a aussi souligné Ursula von der Leyen. Le futur European Research Area Act (dont la publication par la Commission européenne est attendue pour le 2e semestre 2026) devrait ainsi permettre d’inscrire la liberté de la recherche scientifique dans le droit européen. Ce texte devrait aussi veiller à une plus juste rémunération et protection sociale des chercheurs, et à promouvoir leur mobilité, selon la commissaire Zaharieva.
Les intervenants de la matinée ont par ailleurs mis en exergue l’importance de renforcer les grandes infrastructures transnationales existantes et d’en créer de nouvelles, nécessitant un investissement massif et pérenne, pour garantir la souveraineté européenne. Le CERN (organisation européenne pour la recherche nucléaire) a été maintes fois cité en exemple. La multiplication des partenariats public-privé est également vue comme un atout pour la recherche fondamentale. Présidente de MSD France (filiale du laboratoire américain Merck&Co), Clarisse Lhoste a mentionné le fonds MSDAVENIR, créé en 2015 et qui a soutenu près d’une centaine de projets de recherche. « Ce soutien permet aux chercheurs de prendre des risques de façon totalement indépendante », a estimé la dirigeante.
Des engagements jugés « insuffisants »
Dans son manifeste publié fin mars, la branche française du mouvement Stand-up for Science affirmait l’urgence d’un déploiement en France et en Europe de moyens de résistance durables, impliquant, outre le nécessaire accueil des scientifiques menacés en exil, une relance de l’investissement public dans la recherche et l’Université. Lors d’une conférence de presse organisée à l’issue de l’évènement de la Sorbonne, plusieurs scientifiques impliqués dans ce mouvement ont exprimé une certaine déception, voire une franche amertume suite aux annonces de la matinée. Le Pr Alain Fischer, président sortant de l’Académie des sciences, s’est voulu optimiste, se réjouissant de la réaffirmation solennelle de la liberté académique comme « une valeur absolument indiscutable et que l’Europe défend ».
Quant aux montants annoncés respectivement par la France et l’Europe, ils sont certes « insuffisants », mais « non négligeables » en tant qu’expression d’une solidarité, « et j’espère qu’ils permettront d’accueillir un certain nombre de jeunes chercheurs en très grande difficulté », déclare l’immunologiste. Anaïs Le Fèvre-Berthelot, maîtresse de conférences à l’Université Rennes 2 et spécialiste des médias états-uniens, dénonce pour sa part « une opération de communication, qui n’est pas à la hauteur des enjeux ». Et le physicien Bruno Andreotti, professeur à l’Université Paris Cité et co-responsable de Stand-Up for Science, de confronter les montants annoncés aux coupes budgétaires infligées ces dernières années à la recherche française (1), dont en 2025 « une réduction de 10 % du budget des universités ».
Julie Wierzbicki
(1) Retrouvez dans le numéro de mai du magazine Pharmaceutiques notre enquête sur l’état de la recherche académique française.