La science comme « bien commun » : les chercheurs français se mobilisent

Le mouvement Stand up for Science a organisé une journée de mobilisation aux Etats-Unis pour protester contre les attaques de l’administration Trump à l’encontre des chercheurs. Une action relayée en France et largement soutenue par la communauté scientifique.
« Coup d’Etat », « obscurantisme technophile », « sabotage », « brutalité stupéfiante »… les scientifiques intervenant lors d’une conférence de presse ce 7 mars au Collège de France à Paris, ont fermement condamné les « attaques » à l’encontre de leurs confrères américains, depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Cette journée a donné lieu à travers la France à de nombreuses manifestations, en soutien à la mobilisation prévue ce même jour aux Etats-Unis, à l’initiative du mouvement Stand up for Science. Les scientifiques et universitaires engagés dans la branche française du mouvement ont cosigné une tribune publiée dans Le Monde le 4 mars dernier pour dénoncer les « nouveaux obscurantismes ». « La science est un bien commun : si on l’attaque dans son principe, c’est la société qui est attaquée », a alerté l’historien Patrick Boucheron lors de la conférence de presse.
Tous les domaines impactés

L’épidémiologiste et biostatisticienne Dominique Costagliola (Inserm) a notamment témoigné des restrictions déjà à l’œuvre outre-Atlantique : 1 200 personnes renvoyées des National Institutes of Health (NIH), communication verrouillée, financements de projets stoppés du jour au lendemain… Dans la ligne de mire, tous ceux liés de près ou de loin aux thématiques « DEI » : diversité, équité, inclusion. Par exemple, il n’est plus possible d’obtenir des financements fédéraux pour des recherches visant à mieux comprendre les inégalités homme / femme face à la maladie. Tous les projets déjà financés sur ces sujets « DEI » sont susceptibles d’être interrompus. Les CDC (Centres de contrôle et de prévention des maladies) sont tout autant impactés, entre renvois sans préavis, interdiction de diffuser à l’international des données d’alerte sur des épidémies émergentes et de collaborer avec l’OMS, dont les Etats-Unis se sont retirés… Les programmes portant sur des questions environnementales et les changements climatiques sont également remis en cause, voire démantelés.
Même des disciplines jugées moins « sensibles », comme l’informatique ou les mathématiques, subissent les contrecoups de ces restrictions. « Toutes les dépenses non essentielles des universités sont remises en question », rapporte Claire Mathieu, mathématicienne et directrice de recherche au CNRS, qui a recueilli des témoignages de ses collègues. Les examens de candidatures d’étudiants pour des doctorats sont suspendus jusqu’à nouvel ordre : « Une année blanche est envisagée », s’inquiète-t-elle.
Des protections juridiques fragiles
Si la situation française n’a évidemment rien de comparable, les scientifiques relèvent plusieurs signaux d’alerte, comme l’effritement des crédits pour la recherche et du nombre de postes, les attaques répétées contre le « wokisme » des universités, et des actions plus menaçantes, comme la construction d’un mur de parpaings, en novembre dernier, par des agriculteurs en colère pour bloquer l’entrée de l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement).
« Le cadre juridique sur la liberté académique est plus fort en France que dans d’autres pays, observe Valérie Masson-Delmotte, chercheuse en sciences du climat (CEA). Il y a toutefois une volonté de contrôler la communication institutionnelle – souvent à juste titre pour protéger les scientifiques de remises en cause personnelles lorsqu’ils s’exposent sur des sujets polémiques. Les choses restent fragiles. » « Aux Etats-Unis, beaucoup des mesures prises ne sont pas légales, dénonce Dominique Costagliola, évoquant de nombreuses actions juridiques en cours. On n’est pas encore au bout de l’histoire, mais on voit bien que les protections juridiques, même quand elles existent, ne tiennent pas. »
Saluant la « prise de conscience » manifestée par le soutien de très nombreux organismes institutionnels français aux initiatives de Stand up for Science, les intervenants espèrent maintenant une prise de position au plus haut niveau de l’Etat.
Julie Wierzbicki