Une application française de télésuivi à l’honneur à l’ASCO
Les équipes de Gustave Roussy ont démontré, par une large étude randomisée, les bénéfices de leur solution de télésuivi CAPRI en termes d’amélioration de l’adhésion et de l’expérience des patients cancéreux traités par des médicaments oraux, ainsi qu’une réduction des effets secondaires graves. Leurs résultats sont présentés aujourd’hui au congrès annuel de l’ASCO.
Les outils digitaux d’accompagnement ou de suivi des patients chroniques hors de l’hôpital se multiplient. Mais trop rares sont ceux dont les bénéfices sanitaires ont été évalués par de robustes études randomisées. Les équipes de Gustave Roussy ont relevé le défi avec leur solution CAPRI (pour Cancer Parcours de soins Région Ile-de-France). Celle-ci a été conçue pour le suivi des patients adultes recevant un médicament oral, déjà sur le marché, pour leur cancer à un stade avancé ou métastatique. A la différence d’autres applications développées pour les maladies chroniques, « CAPRI allie le digital et l’humain : elle permet une orientation des patients, au-delà d’une simple auto-évaluation », a insisté Etienne Minvielle, responsable scientifique du projet, lors d’une conférence de presse de présentation. Concrètement, CAPRI prévoit des contacts programmés entre le patient et une infirmière de coordination (IDEC), une hotline, un site web et une application mobile. « Ces IDEC bénéficient d’arbres décisionnels pour les guider dans leurs conseils aux patients en fonction des symptômes qu’ils décrivent », précise Olivier Mir, chef du département ambulatoire de Gustave Roussy. L’outil inclut également une interface pour les autres professionnels de santé (médecin traitant, pharmacien d’officine…) et pour les patients souhaitant faire remonter des données et contacter les IDEC via une messagerie sécurisée.
Réduction des effets indésirables graves
« Nous avions besoin de données robustes et d’un niveau de preuves suffisant pour que l’approche soit généralisable à une pratique de routine », explique Olivier Mir. Gustave Roussy a ainsi coordonné une étude qui a inclus plus de 600 patients adultes entre 2016 et 2019, atteints de tout type de cancer solide, dont 41 % de plus de 65 ans et 47 % déjà en 3e ou 4e ligne de traitement. Les volontaires ont bénéficié, soit du suivi habituel par le médecin prescripteur, soit du suivi via le dispositif CAPRI. Le premier objectif de l’étude était d’améliorer l’indicateur « dose-intensité relative » (la quantité de traitement effectivement prise par le patient par rapport à la dose théorique prévue), habituellement de 85 % chez ce type de patients. Dans le cadre de l’étude, cet indicateur a atteint 93,4 % dans le groupe CAPRI, contre 89,4 % dans le groupe contrôle. Mieux encore : le nombre d’événements indésirables les plus graves (grade 3 ou 4) a été réduit d’un quart, grâce à un suivi plus régulier et une prise en charge plus précoce des effets délétères. Par rapport au bras comparateur, c’est une journée et demi d’hospitalisation qui aurait été « économisée ». Ont également été constatés une amélioration de « l’expérience patient » et un recours plus important aux soins de support. Et dans 75 % des cas, l’IDEC a pu gérer seule les interventions demandées par le patient, le recours à l’oncologue n’ayant été nécessaire que dans 25 % des cas. Les résultats de cette étude ont été jugés suffisamment probants pour être présentés oralement en session spéciale lors du congrès annuel de l’American Society of Clinical Oncology (ASCO) : une véritable reconnaissance internationale.
Une approche « généralisable »
Alors que la crise du Covid-19 a entraîné un déploiement exponentiel de la télémédecine, Etienne Minvielle espère que ce cet élan va se poursuivre et que l’application trouvera toute sa place dans ces nouveaux modes de prise en charge. « Les résultats, obtenus sur une population reflétant la vie réelle, sont généralisables », affirme Olivier Mir, sous réserve de former les IDEC et de leur fournir les outils nécessaires. CAPRI est déjà utilisé en routine à Gustave Roussy chez ceux des patients atteints de tumeur cérébrale qui sont traités par une chimiothérapie orale. Elle a également été déployée ces dernières semaines, dans l’urgence, auprès de patients cancéreux atteints de Covid-19. Ces résultats annexes ont déjà été publiés et ont été soumis en vue d’une présentation à l’ESMO (pendant européen de l’ASCO) à l’automne prochain. Par la suite, les équipes de Gustave Roussy entendent déposer auprès de la Haute autorité de santé une demande de remboursement de l’acte. Avec une inconnue de taille. « Notre étude a montré qu’il y a un gain économique important, mais elle montre aussi que cela va au-delà de l’acte d’utilisation de l’outil digital : cet acte s’accompagne d’un raisonnement organisationnel. Le remboursement prendra-t-il en compte uniquement l’application, ou également l’activité des IDEC ? » s’interroge Etienne Minvielle. Une nouvelle réflexion sur l’évaluation de ce type d’outil en vue de leur prise en charge, sera peut-être nécessaire.
Julie Wierzbicki