Santexpo 2025 : la pharma face au risque géopolitique

Le 20 mai, à l’occasion d’une table ronde à Santexpo, le LEEM a donné la parole à trois experts sur les défis posés par la politique américaine dans le domaine du médicament.
Depuis l’arrivée de Donald Trump, la planète a le tournis. Entre annonces fracassantes, menaces réitérées et reculs incessants, de nombreux secteurs s’interrogent sur la conduite à tenir. Pour l’industrie pharmaceutique, particulièrement globalisée, mais également fortement ”américano-centrée”, l’enjeu est de taille. En agitant le spectre de droits de douane inédits, le président américain poursuit en réalité un objectif secondaire affiché sans complexe : réduire, « de 30 à 50% » les prix des médicaments aux Etats-Unis, et rééquilibrer la charge de la valeur des nouveaux médicaments en obligeant les pays européens à payer plus cher l’innovation thérapeutique. Chargée d’animer la table ronde, la DG du LEEM, Laurence Peyraut, le rappelle en préambule. « La politique américaine actuelle a déjà pour conséquence de focaliser Outre-Atlantique l’investissement des industriels de la pharmacie, avec 250 milliards de dollars annoncés ces dernières semaines, souligne-t-elle. Quelles en seront les conséquences pour la France et l’Europe ? Et comment doivent-elle agir pour rester compétitives ? » Directrice de l’Institut Jacques-Delors, Sylvie Matelly replace les excès de Donald Trump dans le contexte historique de ces 20 dernières années. « Donald Trump n’est pas la cause de ce qui se passe actuellement, mais la conséquence, certes caricaturale, d’une réaction américaine défensive, face aux progrès continus de la Chine, estime-t-elle. Quant à l’Europe, les rapports Draghi et Letta l’ont rappelée récemment : le décrochage date du début des années 90, et il ne cesse de s’accroître depuis la crise sanitaire. Coincée entre le repli américain et l’expansionnisme chinois, l’Union Européenne doit réagir d’urgence, en particulier dans le champ de la santé. »
« La best team »
Un impératif qui passe par la lutte contre les tendances nationalistes observées dans une partie des pays européens, mais également par un nouvel état d’esprit : « nous devons passer de la stratégie du ”best athlete” à celle de la ”best team”, affirme Sylvie Matelly. Il le faut, car le mur d’investissement que nous devons franchir est considérable, dans la santé bien sûr, mais également dans la défense. » Economiste de la santé, Thomas Rapp illustre l’urgence de s’organiser face aux offensives américaines. « Ce qui se déroule aujourd’hui, nous avons été quelques-uns à le prédire, observe-t-il. Les coûts de la santé sont trop élevés pour les Américains. Donald Trump n’est pas dans une stratégie de rupture, mais dans le prolongement et l’intensification de l’Inflation Reduction Act voté par l’administration Biden. » Selon lui, les industriels américains vont être confrontés à des négociations brutales, sans lien avec l’évaluation médico-économique des produits. « Côté Europe, une nouvelle approche se dessine, avec la mise en place de l’HTA depuis le début de l’année, note-t-il. Si nous voulons maîtriser les coûts sans renoncer à l’innovation, les accords de performance sont appelés à se développer, à l’appui des données de vie réelle. » Une méthodologie déjà testée en France, mais avec des résultats décevants « parce que l’accès à la data ne permettait pas, jusque là, de produire les données nécessaires pour bien évaluer la valeur des médicaments. »
Elargir l’accès à l’innovation
Directrice générale de l’EFPIA, Nathalie Moll insiste sur un défi commun pour l’Europe du médicament : libérer l’accès à tous les marchés pour l’innovation thérapeutique. « Nous devons, avec les autorités européennes, et surtout celles de chacun des pays de l’Union, résoudre l’équation de l’innovation au service de tous les patients qui en ont besoin. Il faut travailler ensemble sur les barrières à l’entrée des produits, les méthodes d’évaluation de la valeur, la mesure des coûts évités grâce au progrès thérapeutique. » Les systèmes de financement doivent notamment être adaptés aux enjeux de la révolution des biotechnologies. « L’Europe peut être une terre d’élection pour l’innovation en santé, mais nous devons tous ensemble, nous en donner les moyens. » Un avis partagé par Laurence Peyraut qui, en conclusion, pose le momentum politique, en santé comme dans tous les domaines qui relèvent de la souveraineté. « Nous n’avons pas le choix de l’Europe, faisons-en une ambition. Il est temps maintenant pour les Etats de s’emparer de leur destin. »
Hervé Requillart