Le Québec, fer de lance de la filière ARN en Amérique du Nord
Depuis la pandémie de Covid-19, le Québec s’est imposé comme un acteur stratégique dans le développement des thérapies à ARN, en misant sur une combinaison unique de talents, d’infrastructures de pointe, de soutien gouvernemental et de collaborations internationales.
Le Québec a pris le virage ambitieux de l’ARN. Cela s’est concrétisé par une série d’initiatives structurantes, dont l’arrivée de Moderna à la Cité de la biotech à Laval, la création du pôle AReNA, et le déploiement de plateformes de production et de formation spécialisées. L’inauguration de l’usine de Moderna symbolise l’ancrage industriel local de la filière. Stéphanie Doyle, directrice de Montréal International (organisme de développement économique du Grand Montréal) à l’époque de la signature mi-2022 et aujourd’hui pdg de Montréal InVivo (représentant les sciences de la vie et des technologies de la santé du Grand Montréal), se souvient : « L’implantation de Moderna au Canada a été une compétition acharnée… Le bassin d’emplois et les talents de la Belle province ont fait la différence », assure-t-elle. Ce site est l’un des plus modernes au monde, avec une surface de production requise très faible et une flexibilité remarquable grâce à ses deux salles ARNm et deux salles de nanoparticules lipidiques LNP. « Nous disposons de capacités de fourniture de 30 millions de doses de vaccins hors pandémie avec 75 salariés, qui peuvent être étendues à 100 millions de doses en cas de pandémie avec un potentiel de 150 personnes en poste », se félicite Stefan Raos, directeur général de Moderna Canada.
Moderna à Laval : un catalyseur industriel
Crédit : Stéphane Brugger
« Les enjeux sont forts de se doter de capacités domestiques de fabrication comme l’a démontré la pandémie », souligne Stefan Raos. L’usine de Laval, approuvée GMP pour la production du vaccin Covid-19, son premier produit, s’inscrit dans un réseau mondial de préparation pandémique de la biotech américaine avec les sites de Boston, du Royaume-Uni et d’Australie. Moderna et Novocol, CDMO située à Cambridge en Ontario (filiale du groupe français Septodont), avaient signé en mai 2023 un partenariat pour le remplissage-finition aseptique, l’étiquetage et l’emballage des vaccins respiratoires à ARNm. « Cet accord garantie la production nationale de vaccins de bout en bout et des capacités de réponse rapide pour la préparation future aux pandémies, poursuit le dirigeant. 2025 est la première année où des vaccins Covid-19 fabriqués dans le pays seront mis à la disposition des Canadiens. Nous évaluerons ensuite le potentiel d’exportation. » Grâce à sa nouvelle installation et à ses partenariats avec des universités et des entreprises de la région, Moderna contribue à consolider la position du Canada comme centre d’excellence en ARNm. Duccio Medini, responsable du programme R3 (RNA Readiness and Response) du Wellcome Leap (1), y voyait à l’occasion du congrès Effervescence (2) l’opportunité d’accélérer le développement des capacités de fabrication d’ARN normalisées et multiproduits permettant d’améliorer l’accès à divers produits biologiques et d’apporter une réponse durable en cas de pandémie.
AReNA : structurer un écosystème d’innovation
L’initiative AReNA (Pôle ARN du Québec), portée depuis 2024 par le Consortium Québécois sur la Découverte du Médicament (CQDM) et soutenue par un financement de 20,3 M$ du gouvernement provincial, vise à structurer l’écosystème autour de cinq axes : formation, bioproduction, rayonnement, financement et valorisation. Véronique Dugas, pdg du CQDM, rappelle la volonté d’identifier un créneau où se démarquer à l’échelle internationale : « C’est l’ARN sous toutes ses formes qui a été identifié ». Yassine El Bakkouri, chargé de projets chez Montréal InVivo pour l’initiative AReNa, rappelle que « parmi les 300 équipes de recherche qui travaillent au Canada sur le sujet, la moitié sont au Québec ». Le développement s’appuie ainsi sur des travaux de renommée mondiale comme ceux du professeur Nahum Sonenberg (Université McGill), qui a découvert la protéine eIF4E capable de réguler la réplication des cellules, ainsi que ceux de Pieter Cullis (Université de la Colombie-Britannique) sur les nanoparticules lipidiques.
AReNA s’adosse aux plateformes du Centre des Sciences de l’ARN de l’Université McGill, du Pôle Sidney-Altman en ARN thérapeutique créé en 2023 au sein de l’Institut de recherches cliniques de Montréal (IRCM) et de celle de RNomique de l’Université de Sherbrooke, réunies dans le réseau DepTAQ (3) depuis juin 2024. Le réseau permet de mutualiser les ressources pour offrir des services de codéveloppement, de dérisquage et de production préclinique. En parallèle, l’usine-école QASTL, dont les modules d’enseignement vont démarrer dès cet été, se donne pour objectif d’offrir une formation spécialisée dans la fabrication de produits thérapeutiques à base d’ARN afin de contribuer à la formation d’une main-d’œuvre qualifiée et répondre aux besoins croissants du secteur au Canada. « Il faut penser à long terme et faire croître les talents », insiste Stefan Raos.
L’initiative AReNA favorise également l’entrepreneuriat scientifique. Grâce à son partenaire Axelys, organisation très proactive pour détecter et transférer des innovations, 27 projets dans le domaine de l’ARN ont été identifiés, dont 23 (académiques et industriels) accompagnés, avec un soutien à la valorisation et à la création d’entreprises.
Au-delà de la pandémie, de larges perspectives thérapeutiques
L’ARN étend son champ d’action. Deux essais cliniques pour des thérapies en oncologie, combinées avec une immunothérapie, sont en cours au sein de l’Institut du Centre universitaire de santé McGill à Montréal. Le premier, ouvert fin 2024, cible le cancer du poumon non à petites cellules, avec une thérapie développée par MSD et Moderna. Le second, entré en clinique en avril 2025, vise le cancer de la vessie. « L’engouement dans ce domaine, dont l’impact a été démontré en phase III, est fort », note Stefan Raos. « Il n’y a pas un mais une multitude d’ARN, rappelle Xavier Linker, directeur des initiatives stratégiques du CQDM. Les technologies incluent les ARN messagers, les oligonucléotides antisens (ASO), et les petits ARN modifiant l’épissage. Le potentiel est immense, notamment pour les maladies rares, l’oncologie, et même la médecine vétérinaire ou encore l’agriculture. »
Moderna dispose de plus de 40 projets de recherche en cours sur des vaccins préventifs et thérapeutiques, saisonniers et pandémiques, en maladies infectieuses, immuno-oncologie, maladies rares et maladies auto-immunes, dont plus d’une dizaine en clinique dans plus de 50 sites à travers le Canada. « Dans les trois ans, nous visons dix nouveaux vaccins homologués, indique le dirigeant : un vaccin VRS pour les plus de 60 ans, déjà homologué et en passe d’être produit localement dès 2026 ; le vaccin grippe/Covid-19 pour les personnes âgées pourrait être approuvé dans les 12 mois ; les prochains candidats concerneront les virus latents, l’oncologie et les maladies rares. »
Un hub mondial
Malgré l’enthousiasme, des défis subsistent : « réduction des coûts de fabrication, amélioration de la stabilité des molécules et démocratisation de l’accès aux thérapies, cite Véronique Dugas. Mais l’agilité technologique de l’ARN, sa rapidité de conception et la miniaturisation des équipements ouvrent des perspectives inédites. » Le Québec ambitionne ainsi de devenir un hub mondial pour les thérapies ARN. « Les compétences sont là. Nous avons besoin d’être reconnus, affirme David Ferland-McCollough, responsable scientifique des programmes préclinique de la société RNA T&T fondée à Montréal et spécialisée dans l’optimisation de la production. La pandémie a été un momentum pour l’ARN ». Outre l’arrivée de Moderna, l’octroi de 165 millions de dollars de la part du gouvernement fédéral via le Fonds d’excellence en recherche Apogée Canada à l’université McGill pour l’initiative D2R (4) a été un catalyseur. Germain Morin, vice-président de la chaîne d’approvisionnement mondiale Vaccins et maladies rares de Pfizer durant la pandémie, conclut avec enthousiasme : « L’innovation est à tous les niveaux – des matières premières à la logistique de livraison -, les cerveaux sont disponibles ; le prochain BioNTech est dans la salle de congrès d’Effervescence 2025 ! »
Par Juliette Badina
(1) Initiative financée par le Wellcome Trust pour accélérer les innovations en santé humaine cofinancée par le Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI)
(2) Le congrès Effervescence s’est tenu les 29 et 30 avril dernier au marché Bonsecours de Montréal
(3) DepTAQ : Développement et de Production de Thérapies ARN du Québec
(4) Initiative D2R : De l’ADN à l’ARN : une approche canadienne inclusive des traitements génomiques à base d’ARN
Retrouvez une présentation complète de l’écosystème montréalais dans le n°328 (Juin-Juillet 2025) de Pharmaceutiques
