Vers une réforme en profondeur de la législation pharmaceutique européenne
Présentée le 25 novembre par la Commission européenne et débattue le 26 par les eurodéputés, la Stratégie pharmaceutique pour l’Europe propose de multiples initiatives visant notamment à favoriser l’accès des patients aux médicaments et à soutenir la compétitivité de l’industrie pharmaceutique. Nombre d’entre elles seront intégrées à une importante révision de la législation pharmaceutique européenne, annoncée pour 2022.
Inscrite dans la lettre de mission de la Commissaire européenne à la Santé Stella Kyriakides, décrite dans une feuille de route publiée en juin, objet de plusieurs mois de consultation publique, la Stratégie pharmaceutique pour l’Europe a été officiellement présentée le 25 novembre par la Commission et débattue par les eurodéputés dès le lendemain. Les quatre objectifs principaux n’ont guère évolué : favoriser l’accès des patients à des médicaments innovants et abordables, soutenir la compétitivité et la capacité d’innovation de l’industrie pharmaceutique de l’UE, développer l’autonomie stratégique et consolider les chaînes d’approvisionnement, et renforcer la voix de l’UE sur la scène mondiale. En outre, la stratégie devra s’articuler avec d’autres « piliers » de l’UE de la santé déjà présentés ou encore en cours d’élaboration : le règlement EU4Health (adopté il y a deux semaines par le Parlement), le plan européen de lutte contre le cancer ou encore le pacte vert pour l’Europe, ainsi que les révisions déjà lancées en parallèle des règlements sur les médicaments orphelins et pédiatriques. L’eurodéputée Véronique Trillet-Lenoir (groupe Renaissance) se félicite que la Commission européenne ait pris « la mesure du défi », « mais j’aimerais être assurée que tout ce qui est décrit par cette stratégie soit bien pérenne au-delà de la pandémie de Covid-19 ». Edith Frénoy, directrice de l’accès au marché de l’EFPIA, souligne quant à elle le caractère « ambitieux » du texte et salue la reconnaissance par la Commission de l’importance des incitations pour l’innovation industrielle. Mais elle s’inquiète de la méthode retenue : celle de la révision législative.
Un nouveau cadre « solide et moderne »
La mise en œuvre de ces orientations passera en effet essentiellement par une complète « remise à plat », d’ici fin 2022, du cadre législatif entourant la mise sur le marché des produits pharmaceutiques dans l’UE. Ce cadre englobe la directive du 6 novembre 2001 (instituant un « code communautaire relatif aux médicaments à usage humain ») et le règlement du 31 mars 2004 (établissant les procédures de l’UE pour leur autorisation et leur surveillance, et instituant l’agence européenne du médicament). Ces règles « datant de 20 ans (…) requièrent absolument une modernisation, a affirmé Margaritis Schinas, vice-président de la Commission européenne en charge de la promotion du mode de vie européen, lors de la conférence de presse de présentation de la stratégie. Aujourd’hui n’est que le démarrage de ce vaste chantier. Notre ambition est de laisser derrière nous un cadre législatif communautaire solide et moderne pour la pharma. » « Au cours des prochaines années nous allons travailler d’arrache-pied sur la réforme de cette législation : cela englobera tous les angles, toutes les étapes, en mettant le patient au centre de cette stratégie et en faisant en sorte que celle-ci soutienne notre leadership global », a complété Stella Kyriakides en introduction du débat au Parlement européen.
Une stratégie inadaptée sur l’accès ?
Mais pour Edith Frénoy, « la question de l’accès aux médicaments, centrale dans la stratégie, ne peut se résoudre par une réforme de la législation européenne, puisque ces sujets relèvent essentiellement de la compétence des Etats membres. » Dans sa communication, la Commission inscrit clairement comme objectif l’adoption en 2021 du règlement sur la coopération européenne en matière d’évaluation des technologies de santé (HTA), soutenu par la CE et le Parlement, mais bloqué depuis près de deux ans au niveau du Conseil européen. « C’est peut-être un vœu pieux, mais je me réjouis que cette collaboration sur la HTA soit si souvent mentionnée dans le texte : c’est vraiment le chaînon manquant dans ce « cercle vertueux » du médicament que pourrait impulser cette stratégie », estime Véronique Trillet-Lenoir.
La stratégie ne prévoit pas de toucher à la directive 89/105/CEE sur la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments, dont la révision est pourtant demandée depuis des années par le Parlement européen. Pour l’heure, le texte de la Commission se borne à proposer la mise en place d’un groupe pilotant la coopération entre les autorités nationales de tarification et de remboursement et les organismes payeurs de soins de santé, sur la période 2021-2024. Est également annoncé le lancement d’un projet associant l’EMA, les Etats membres et les entreprises pharmaceutiques pour mieux comprendre les causes de différences d’accès aux traitements dans les différents pays, « notamment en ce qui concerne le cancer ». Mais Edith Frénoy craint que cette focalisation sur l’oncologie « ne traduise pas la globalité des problèmes » et que les entreprises soient pointées du doigt comme « seules responsables des délais et de la non disponibilité des médicaments sur certains marchés. »
Julie Wierzbicki