VIH : De nouvelles stratégies thérapeutiques face à des objectifs non-atteints
Alors que la France est très proche des recommandations de cibles de l’OMS « 95–95-95 », l’objectif de fin de la transmission du VIH au niveau mondial fixé par l’organisation pour 2030 s’éloigne. La PrEP orale quotidienne – très efficace – n’est pas accessible partout. L’accès au lenacapavir, une option injectable à longue durée d’action, doit se généraliser.
« Les données nationales de surveillance du VIH en France pour l’année 2024 montrent la poursuite de l’augmentation du dépistage, portant à 8,5 millions le nombre de tests remboursés, indiquait Françoise Cazein, épidémiologiste à Santé Publique France, en conférence en presse en amont de la Journée mondiale de lutte contre le sida célébrée ce 1er décembre. Cette accélération est portée par les nouveaux dispositifs de dépistage en laboratoire, sans avance de frais et sans prescription (1), a-t-elle détaillé. En 2024, 20 % des analyses étaient réalisés dans ce cadre. » 5 100 personnes ont ainsi découvert leur séropositivité en 2024, contre 2 400 en 2023. Les hétérosexuels et les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes (HSH) ont par ailleurs représenté en 2024 respectivement 53 % et 42 % des découvertes de séropositivité, loin devant les personnes trans (2 %) ou les enfants contaminés par leur mère (1 %). Ce qui porte à 181 000 le nombre de personnes vivants avec le VIH dans le pays. Le nombre de personnes vivant avec le VIH mais non diagnostiquées est estimé à environ 9 700 en 2024. Le rapport de Santé Publique France met également d’importantes disparités territoriales.
La quasi-totalité des indicateurs de diagnostic et d’incidence dans tous les groupes de transmission sont également en augmentation. Françoise Cazein s’est toutefois félicité que la France soit très proche des recommandations de cibles de l’OMS « 95–95-95 » avec deux objectifs dépassés : Les taux sont respectivement de 94 % des personnes infectées par le VIH diagnostiquées, 96 % d’entre elles sous traitement antirétroviral, et 97 % des personnes traitées avec succès, avec une charge virale durablement indétectable.
Une stratégie thérapeutique pour une rémission
« Mais nous nous éloignons de l’objectif de fin de la transmission du VIH au niveau mondial en 2030 fixé par l’OMS, et cela est très préoccupant, a déploré en conférence de presse Pierre Delobel, infectiologue au CHU de Toulouse. La rémission (réservoir de virus contrôlé par l’immunité, qui ne nécessite plus de traitement antirétroviral) plutôt que la guérison (éradication complète du virus de l’organisme) est une priorité de l’ANRS-MIE ». L’agence s’appuie sur le consortium Rhiviera (Remission of HIV Infection Era) lancé en 2014, qui synchronise les efforts de la communauté de recherche française en établissant une collaboration public-privé pour développer de nouveaux outils et stratégies en vue d’une rémission durable de l’infection. « De nombreux essais sont en cours : Rhiviera 01 (inclusion terminées, résultats en cours d’analyse) et Rhiviera 02 (en cours de recrutement, 32 patients inclus depuis le printemps 2024 sur les 69 attendus). Ce dernier s’appuie sur la stratégie des anticorps anti-VIH neutralisants et stimulants de la réponse immunitaire. » Les essais Rhiviera 03 (stratégie avec deux immunomodulateurs) et Rhiviera 04 (immunothérapie pour des patients en succès immunologique mais qui restent immunodéprimés) seront lancés en 2026.
Vers un accès aux innovations dans les pays du Sud
Selon les statistiques d’OnuSida, 1,3 million de personnes ont été infectées dans le monde en 2024. « C’est 3,5 fois plus que l’objectif fixé, s’alarmait à l’occasion Carmen Pérez Casas, responsable stratégie et préparation aux pandémies d’Unitaid. La crise des financements dans les pays en développement menace de retarder d’une décennie les progrès dans l’accès aux traitements, la transmission mère-enfant, ou la prévention, a-t-elle regretté. L’accès à la PrEP (prophylaxie préexposition) orale quotidienne a chuté drastiquement de 37 % en 2025. On estime que 2,5 millions de personnes qui utilisaient la PrEP ont dû l’arrêter à cause d’un manque d’accès aux médicaments. »
La révolution technologique est celle des antirétroviraux à longue durée d’action, telle que le lenacapavir de Gilead en injection sous cutanée pour six mois. « La FDA et l’EMA ont approuvé dans un temps record son utilisation. À la suite des recommandations de l’OMS émises en juillet, plusieurs pays d’Afrique sub-saharienne ont obtenu des autorisations dans la foulée : l’Afrique du Sud a été le premier pays africain à autoriser le médicament en octobre, puis la Zambie et le Zimbabwe ont suivi en novembre. Je n’ai jamais vu des délais aussi rapides ! », a-t-elle applaudit. La question d’un prix abordable dans ces pays à revenu faible et intermédiaire est primordiale. Unitaid, la Clinton Health Access Initiative (CHAI) et Wits RHI ont signé un accord historique avec le génériqueur indien Dr Reddy’s pour rendre disponible le lenacapavir injectable au prix de 40 dollars américains par an dans ces pays. « Les modalités d’administration dans les populations restent à définir pour être disponibles le plus rapidement possible », a poursuivi Carmen Pérez Casas. Les premiers patients ont commencé à utiliser le lénacapavir en Afrique du Sud, dans le cadre d’une étude financée par Unitaid et menée par Wits RHI à l’Université du Witwatersrand. Au Brésil, une étude similaire, dirigée par Fiocruz, est également en cours.
« Des développements sont également en cours sur les médicaments à action prolongée par voie orale, avec une prise une fois par semaine par exemple », indiquait par ailleurs Pierre Delobel. De nouvelles options qui devraient permettre un accès plus large. Retrouvez davantage d’informations dans l’enquête à paraître dans le numéro de décembre de Pharmaceutiques.
Juliette Badina
(1) « VIH test » en 2022 puis « Mon test IST » élargi à quatre autres maladies en septembre 2024 et pris en charge pour les moins de 26 ans




