Données de santé : un modèle économique en jachère
Il n’y aura pas de modèle économique de la donnée numérique de santé sans des financements pérennes ni des modes de tarification adaptés. Des freins opérationnels devront également être levés. Explications.
Le temps n’est pas encore venu. Malgré les récentes avancées observées, notamment sur le plan règlementaire, une meilleure exploitation des données de santé passera inévitablement par la co-construction d’un modèle économique dédié, alimenté par des financements pérennes et consolidé par des modes de tarification adaptés. Plus large et plus ouvert que par le passé, le cadre général manque toujours de clarté et de visibilité pour permettre aux différents acteurs, producteurs et utilisateurs, d’en tirer tous les bénéfices imaginés pour la collectivité, que ce soit pour informer les usagers et les soignants, stimuler la recherche médicale, produire des études scientifiques ou évaluer des traitements, des services et des politiques publiques, dont le pilotage sera facilité. Derrière les impératifs de sécurité, la qualité, la disponibilité et la valorisation de la donnée seront trois paramètres déterminants dans la conduite du changement.
Financer et tarifer
Soutenu financièrement par la puissance publique, le développement des entrepôts de données de santé hospitaliers trace de nouvelles perspectives. « Les travaux actuellement menés doivent nous permettre de mieux cerner les financements requis, mais aussi de mieux évaluer les coûts générés par la collecte et la transformation des données, qui demeure une étape incontournable pour garantir leur future réutilisation », souligne Claude Gissot, directeur de projet à la Drees, non sans évoquer une piste concrète pour tarifer cette opération critique : « Le temps consacré à la tâche est une option crédible. Le salaire horaire moyen d’un data scientist peut être aisément chiffré. » D’autres aspects seront naturellement pris en compte. « Le processus d’enrichissement de la donnée mobilise des infrastructures techniques et des compétences humaines variées qui devront être valorisées. Les premières estimations atteignent plusieurs millions d’euros par an et par entrepôt », détaille Stéphanie Combes, directrice du Health Data Hub. Une somme jugée « peu excessive » pour la constitution d’une base de données structurée et robuste. « Notre entrepôt n’a pas pour objectif de dégager des bénéfices. Le défi consiste plutôt à couvrir les dépenses engagées », rappelle Caroline Germain, directrice adjointe du pôle « innovations et données » au sein de l’AP-HP. Financé pour moitié par des fonds publics, notamment dans le cadre d’un AAP spécifique, le coût du projet porté par le groupe hospitalier francilien s’élève à 21 millions d’euros.
Qualifier et impliquer
Selon les experts réunis par Pharmaceutiques, les partenariats publics/privés pourraient libérer des financements complémentaires, mais plusieurs freins opérationnels devront être préalablement levés. La publication de grilles tarifaires harmonisées* devrait y contribuer. Outre une mesure plus fine du coût attendu, cette dynamique de standardisation pourrait homogénéiser les conditions d’accès aux données stockées dans les entrepôts hospitaliers et réduire les délais de mise à disposition, considérés comme deux écueils majeurs dans la configuration actuelle. Collecte, intégration, traitement… Le modèle de valeur de la donnée nécessitera également des ajustements structurels, en amont de leur partage. « La qualification des données de soins sera un sujet prioritaire. Il faut davantage impliquer les soignants et les patients pour bâtir une véritable culture de la data en santé », affirme Loïc Lagarde, directeur de la Clinique Pasteur. Une chose est sûre : valorisation devra rimer avec circulation, structuration et hybridation. Outil de gestion et de pilotage des activités hospitalières, une donnée enrichie pourrait aussi permettre de nourrir la connaissance scientifique. « Le croisement des différentes de sources de données va simplifier et accélérer la conduite des programmes de recherche clinique », confirme Gaëlle Nachbaur, directrice médico-économie et pharmaco-épidémiologie chez GSK. Tendance grandissante dans le secteur des industries de santé, la maîtrise de la donnée est devenue un « élément central » dans la stratégie globale du groupe britannique.
Jonathan Icart
NB : ces propos ont été recueillis durant la troisième table ronde du colloque « Données de santé : comment changer la donne », organisé par Pharmaceutiques le 19 juin dernier.
(*) Attendue avant l’été, une grille de tarification de l’accès aux données contenues dans les entrepôts hospitaliers sera finalement publiée à la rentrée.