Les défis d’une filière de thérapie génique
Malgré le savoir-faire des acteurs nationaux, les investissements consentis par le gouvernement et la bonne volonté manifestée par l’ensemble des parties prenantes, le chemin semble encore long pour positionner la France comme leader mondial de la thérapie génique. Mais la dynamique est enfin enclenchée.
Selon la FDA, une quarantaine de médicaments de thérapie génique devrait avoir atteint le marché dès l’an prochain. « Aujourd’hui, ces thérapies sont encore des exceptions, mais elles seront la règle demain », prophétise Pierre-Olivier Boyer, directeur général France de PTC Therapeutics et président du collectif GRAN-TG, à l’occasion d’une table ronde co-organisée par Pharmaceutiques et PTC le 15 novembre dernier. Des traitements pas tout à fait comme les autres, porteurs d’une « promesse de guérison, sur une seule administration », comme le résume Eric Baseilhac, directeur des affaires économiques, internationales et publiques du Leem. Et qui posent aussi de nombreux défis de production, d’évaluation, de financement et d’organisation des soins. « Une thérapie génique ne peut pas valoir le prix d’un traitement chronique. Il y aura forcément un impact budgétaire immédiat à consentir, mais ces thérapies permettront ensuite de générer des économies », assure-t-il. « On ne prend jamais en compte le coût de ne pas traiter un enfant gravement malade, qui connaîtra des conditions de vie inacceptables », ajoute le député du Gard Philippe Berta, président du groupe d’étude maladies rares de l’Assemblée nationale.
Revoir les modes d’évaluation et de financement
Le PLFSS pour 2023 a douché les espoirs suscités par le plan Innovation Santé 2030 dévoilé mi-2021 (1). « Comment absorber l’arrivée de ces traitements avec une hausse des dépenses de médicaments limitée à 0,4 % ? », s’insurge Eric Basheilhac. Les industriels en appellent à un mécanisme de financement innovant, avec un équilibre délicat à trouver entre l’incertitude et la temporalité. Problème : « Tous nos systèmes d’évaluation ont été bâtis en aversion à l’incertitude, rappelle le représentant du Leem. Il faut poser le cadre d’un pari sur l’avenir. » Le dispositif d’accès précoce, créé par la LFSS pour 2021 en lieu et place des autorisations temporaires d’utilisation, a introduit le critère de « présomption d’innovation ». « Le système de santé doit s’adapter à la présomption de valeur médicale », propose Franck Mouthon, président de France Biotech. « Il faut laisser du temps à l’évaluation, plaide Pierre-Olivier Boyer, et revenir autour de la table après deux ou trois ans avec des données robustes. » La nouvelle mouture de la doctrine d’évaluation de la commission de la transparence de la HAS, promise pour la fin de l’année, est attendue avec la plus grande impatience.
« Un enjeu de souveraineté et d’accès »
En amont, la France n’est pas non plus la mieux placée sur le développement et la production de ces thérapies géniques. Selon Pierre-Olivier Boyer, sur 62 essais cliniques actuellement conduits dans le monde, seuls quatre se déroulent en France. Quant à la bioproduction, « la France a pris du retard », constate Jacques Volckmann, vice-président R&D de Sanofi France et président de France BioLead. Il en appelle à un meilleur accompagnement des industriels, un accès facilité aux financements, aux essais cliniques (notamment précoces) et à des technologies transversales. « Un site de production de thérapie génique doit produire pour le monde entier ! Sécuriser la production sur un territoire, c’est à la fois un enjeu de souveraineté et d’accès pour les patients. En France, nous avons les compétences pour avancer positivement sur ces sujets », ajoute le dirigeant, résolument optimiste. Un point de vue partagé par Franck Mouthon, qui salue l’existence en France d’un « tissu d’entrepreneurs extrêmement dynamique, sur toute la chaîne de valeur. » « Nous devons inventer un modèle attractif à la fois pour le bien des patients et pour que ces innovations puissent exister chez nous… mais il va peut-être aussi falloir s’organiser à une autre échelle », avance Philippe Berta, qui dit attendre d’un potentiel 4e plan national maladies rares « une ouverture européenne ».
Julie Wierzbicki
(1) A lire : « PLFSS 2023 : Retour vers le futur », dossier de Pharmaceutiques n°301, novembre 2022