Produits de contraste : une réforme transformante
Entrée en vigueur au 1er mars dernier, la nouvelle législation française sur la délivrance et la prise en charge des produits de contraste impacte tous les acteurs de la filière, au plan logistique et organisationnel, comme en témoignent les participants au colloque Radiologie organisé par Pharmaceutiques.
La réforme modifiant les modalités de délivrance et de remboursement des produits de contraste est entrée en vigueur au 1er mars dernier, avec une période de transition jusqu’à la fin du mois. En pratique, à compter du 1er avril, un patient devant subir un acte d’imagerie médicale nécessitant l’usage d’un produit de contraste n’aura plus à se procurer ce dernier, en amont, dans une pharmacie d’officine : ce sera au radiologue de lui fournir le produit, au moment de l’examen. « Cette réforme a été conduite avec l’ensemble des acteurs de la radiologie, assure Clélia Delpech, sous-directrice du financement du système de soins à la Direction de la sécurité sociale, intervenant lors de la première table ronde de la web-conférence « Radiologie » organisée par Pharmaceutiques le 20 mars (1). Les objectifs en sont une simplification pour le patient, un moindre gaspillage des produits de contraste et une meilleure maîtrise des dépenses de l’assurance maladie liées à la radiologie. » Environ 150 M€ d’économies sont espérés.
Une refonte de la chaîne de production et d’approvisionnement
La mise en œuvre de cette réforme – qui aurait dû concerner une partie de ces produits dès juillet 2023 – impacte lourdement tous les acteurs de la filière. A commencer par les fabricants de produits de contraste, qui ont dû réadapter complètement leur chaîne de production à de nouveaux conditionnements « multi-patients » (grands volumes) au lieu des doses individuelles délivrées en pharmacie. « Chez Guerbet, ces transformations ont nécessité six à neuf mois de travail », témoigne Dan Raffi, directeur des opérations commerciales et directeur général France du laboratoire.
Habitués à travailler avec un petit nombre de grossistes répartiteurs, les fournisseurs doivent désormais contracter avec 1 200 centres de radiologie privés, en plus des centres hospitaliers. « Ce ne sont pas directement les radiologues mais les structures titulaires des autorisations qui achètent les produits, rappelle le Dr Jean-Philippe Masson, président de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR). Celles-ci doivent désigner des radiologues référents, pour assurer la traçabilité. Car même s’ils ne sont plus disponibles en pharmacie, ces produits restent des médicaments, soumis aux mêmes règles. » Ce dernier impute d’ailleurs largement aux fabricants le retard pris par la réforme. « Celle-ci était nécessaire, mais les fondations n’étaient pas suffisamment solides », rétorque Dan Raffi, affirmant l’engagement des équipes de Guerbet à accompagner les cabinets libéraux dans cette transformation, en conduisant des audits organisationnels.
Mise en œuvre sous haute surveillance
Habitué aux « coups de rabots budgétaires », le Dr Jean-Pierre Thierry, conseiller médical de France Assos Santé, salue pour sa part cette réforme organisationnelle fondée sur la pertinence, et appelle à « miser sur la responsabilité des professionnels de santé ». Il met toutefois en avant plusieurs points de vigilance : le risque d’une augmentation transitoire de la survenue d’évènements indésirables, inhérent à tout changement de pratique, et surtout celui de ruptures de stock, avec pour conséquence délétère des reprogrammations et retards d’examens diagnostics. « Il y a un enjeu très important de suivi de cette réforme pour garantir la qualité de prise en charge et de sécurité des patients », insiste Clélia Delpech.
De son côté, Dan Raffi témoigne de commandes passées par certains établissements hospitaliers pour « jusqu’à dix mois de stocks », conduisant Guerbet à mettre en œuvre un contrôle pour éviter les pénuries. Selon Jean-Philippe Masson, la tentation de sur-stockage ne peut guère concerner les petits centres privés, faute de place. Mais ce risque est également pointé comme majeur par Christophe Lala, président et fondateur de MedTech Consulting. « Nous avons le statut de courtier en médicaments. Nous avons développé une plateforme digitalisée, à la fois pour la commande et la livraison des produits de contrastes, gage de simplification et d’efficience », assure-t-il. L’analyse des data circulant sur la plateforme permet de prédire la volumétrie, et d’indiquer le moment le plus opportun pour « pousser une commande », plutôt que de se fier au bon de commande précédent. Une solution « disruptive » qui, selon Dan Raffi, « mérite d’être étudiée ».
Julie Wierzbicki
(1) Avec le partenariat institutionnel de la Fédération nationale des médecins radiologues (FNMR) et la Société française d’imagerie cardiaque et vasculaire (SFICV)
Crédit photos Eric Durand
Financiarisation de la santé :
« Une modalité d’organisation dans un mouvement global »
Daniel Benamouzig, titulaire de la chaire santé de Sciences Po
Comme d’autres activités dans le champ du diagnostic (biologie médicale, anatomo-cytopathologie…), la radiologie est à son tour confrontée à une financiarisation croissante des acteurs du secteur privé. Un phénomène analysé par Daniel Benamouzig (co-auteur d’une note sur le sujet en juillet 2023) en introduction du colloque « Radiologie » de Pharmaceutiques. « Dans ce mouvement, les acteurs français cherchent leur voie entre plusieurs modèles : celui d’une financiarisation par la dette, via le regroupement de plusieurs professionnels permettant d’augmenter leur capacité d’emprunt ; et celui, plus invasif, d’une entrée au capital d’investisseurs qui en quelque sorte prennent le contrôle des professionnels », décrit-il. Avec, pour cette deuxième option, un enjeu de pérennisation en cas de retrait des investisseurs. Selon lui, « la financiarisation est une des modalités d’organisation dans un mouvement général de réorganisation de l’offre de soins, avec une forte dimension territoriale. » Face à cette « tendance de fond » le régulateur reste pour l’instant en position d’observateur, mais dispose en cas de besoin de divers leviers d’intervention, essentiellement juridiques.