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Rationaliser l’activité de greffe : des ambitions aux moyens

Après l’épidémie de Covid-19 durant laquelle l’activité de transplantation a marqué le pas, l’heure est aux enseignements à en tirer pour renforcer la stratégie dédiée, tant en ce qui concerne les dons que les prélèvements. Comment relancer le dynamisme des greffes en France ? C’est la question à laquelle les intervenants du colloque Transplantation sont venus répondre.

Michel Tsimaratos, directeur médical adjoint chargé des affaires médicales et scientifiques de l’Agence de Biomédecine

Michel Tsimaratos, Directeur Général Adjoint chargé des affaires Médicales et Scientifiques de l’Agence de Biomédecine, est venu témoigner en introduction du colloque de Pharmaceutiques sur la transplantation, d’un contexte de crises successives. Mais il salue également une progression remarquable du savoir-faire en transplantation – tant thérapeutique que prédictif, grâce à l’intelligence artificielle – sur la dernière décennie. Si la transplantation constitue la meilleure solution contre la défaillance d’un organe, il y a encore une forte inadéquation entre les besoins et les dons. « Chaque jour en 2022, 21 personnes ont été inscrites sur liste d’attente, et parmi elles 15 ont été greffées, chiffre-t-il. Il faut un engagement des équipes soignantes et des associations de patients pour faire bénéficier les malades, le plus tôt possible, de cette alternative. Sur les six patients non greffés en 2022, trois sont décédés. Les trois autres sont venus gonfler la liste d’attente qui augmente. »
« Si le nombre de greffes a chuté avec la crise du Covid-19, l’effet a été moindre par comparaison avec d’autres activités de soins, du fait d’une priorisation des ressources », note Julien Rogier, médecin coordinateur du prélèvement d’organes tissus Réanimation chirurgicale et traumatologique au CHU de Bordeaux. 5 500 greffes ont été réalisées en 2022. L’objectif du Plan ministériel 2022-2026 est de revenir à l’activité pré-Covid-19 (6 150 transplantations en 2017) à l’horizon 2026. « Et pour cela, il faut rebâtir des organisations qui ont été mises à mal », insiste le praticien. Mais, pour Jean-Louis Touraine, président de l’association France Transplant, « le niveau pré-Covid-19 était déjà insuffisant ! L’objectif devrait être de 10 000 greffes par an, tous organes confondus, pour absorber la liste d’attente. » Pour cela, beaucoup d’actions ont été mises en place dans le Plan, après une large consultation de l’ensemble des acteurs, pour accélérer le recours à toutes les sortes de greffes.

D’un donneur potentiel à un donneur effectif

Si le consentement présumé existe pour le don d’organe, avec un taux d’acceptation de 85 % des Français, et que le taux d’inscription sur la liste des refus est faible, la réalité reste complexe. « Le taux de refus approche 35 % chez des patients en état de mort encéphalique en questionnant les proches, chiffre Michel Tsimaratos. Le problème se pose surtout dans les familles qui n’ont pas discuté du sujet en amont. » Et « ce chiffre atteint les 50 % en ajoutant les patients décédés de mort encéphalique qui présentaient une contre-indication médicale au don d’organes, ajoute le professeur Touraine, ancien député du Rhône. Il y a une forte marge de progression. » Chez les personnes âgées susceptibles d’évoluer vers un état de mort encéphalique après un arrêt des thérapeutiques, l’« abord anticipé » des proches du patient ne prend forme que peu à peu. « Ce prélèvement d’organe qui nécessite l’accès aux services de réanimation seulement pour cette acticité existe pourtant depuis le décret de 2016 », indique Jean-Christophe Venhard, président de la Société française de médecine de prélèvements d’organes et de tissus.
Le prélèvement chez des donneurs décédés après arrêt circulatoire (Maastricht III) est, lui, un exercice complexe et nécessite des équipes formées. Concernent le prélèvement sur donneur vivant (pour un rein ou une partie du foie, surtout pour un membre de la famille ou un proche), « l’organisation est plus fluide, puisque programmée », pose Julien Rogier, également secrétaire général adjoint de la Société Francophone de Transplantation. « Cela représente 15 % de l’activité de prélèvement, précise Michel Tsimaratos. L’objectif est de la mener à 20 % ».
Faudrait-il mettre en place des incitations au prélèvement ? « Au CHU de Bordeaux, comme dans beaucoup d’autres établissements publics où elles se font, les transplantations d’organes sont déjà une priorité, assure Julien Rogier, sauf celles de reins. Beaucoup de soignants n’identifient pas cela comme une urgence parce qu’il y a des alternatives avec la dialyse, déplore-t-il. Pourtant la qualité de vie des patients n’est pas la même ! »

Davantage de blocs opératoires et de moyens

« Les équipes de coordination, constituées de médecins et infirmiers, doivent être renforcées, pour faire face à l’activité de prélèvement et de greffes, mais aussi pour aller chercher de nouveaux donneurs potentiels, indique Jean-Christophe Venhard, en charge de la coordination des prélèvements d’organes au CHU Tours. Elles sont très investies, mais ne peuvent pas faire avec les moyens qu’elles n’ont pas et face à une disponibilité moindre des blocs opératoires ! » Il pointe la problématique des prélèvements de tissus (cornée, peau, tendons…) qui interviennent après ceux d’organes, en fin de course. « C’est un procédé long, qui augmente le temps d’opération et d’occupation du bloc ».
De nouveaux financements doivent être fléchés, notamment pour que les établissements bénéficient des nombreuses innovations en transplantation, pour la conservation des organes par exemple. Mais, « les problématiques ne sont pas partout les mêmes, il faut donc régionaliser avec les ARS comme chefs d’orchestre en fonction des besoins », indique Julien Rogier. Pour identifier les points de blocage et rechercher des solutions, l’Agence de la Biomédecine a réalisé une montée en puissance du nombre d’audits selon des indicateurs de performance, « dans un métier où la culture de l’audit est faible, rappelle Julien Rogier. Cela permet une analyse structurelle de l’organisation de l’hôpital », ajoute-t-il. « Rien ne justifie qu’on perdre des possibilités de prélèvements ou de greffes pour des raisons d’organisation », confirme le docteur Venhard.

Juliette Badina

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