Evaluation HTA européenne : un règlement et des défis multiples
Beaucoup d’attentes et de préoccupations mais aussi d’enthousiasme ont été exprimés par les participants au symposium organisé le 7 mars par la Haute autorité de santé pour saluer l’entrée en vigueur du règlement européen sur l’évaluation des technologies de santé. Les agences et l’ensemble des parties prenantes ont encore trois ans pour s’y préparer.
Près de quatre ans après la première proposition de règlement européen sur une évaluation des technologies de santé (HTA), le texte définitif a enfin été adopté mi-décembre 2021 et publié au Journal officiel de l’UE le 22 décembre. Rappelons que cette nouvelle réglementation ne concernera que les volets scientifiques et cliniques de l’évaluation : les aspects économiques, de remboursement et de fixation des prix resteront du ressort des Etats membres.
« Après plus de 20 ans de coopération, le règlement HTA offre enfin un cadre permanent, dont le champ d’application est très large, a salué le ministre de la Santé Olivier Véran, en ouverture du symposium organisé ce 7 mars à l’initiative de la HAS, en marge de la présidence française de l’Union européenne. L’UE dispose désormais d’une pièce maîtresse de la stratégie pharmaceutique européenne ».
Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé : « Avec ce règlement, l’UE dispose désormais d’une pièce maîtresse de la stratégie pharmaceutique européenne. »
Un agenda étalé
Même s’il est entré en vigueur début 2022, ce n’est qu’à partir de 2025 que ce nouveau règlement commencera à s’appliquer, dans un premier temps aux médicaments anticancéreux, avant de s’étendre à partir de 2028, aux médicaments dotés d’un statut « orphelin », puis à compter de 2030, à l’ensemble des médicaments et à certains dispositifs médicaux. Les Etats membres ont jusqu’à ce 25 mars pour désigner leurs représentants au sein du futur groupe de coordination, qui se réunira pour la première fois en juin prochain, et dont la mission sera de superviser la réalisation des évaluations cliniques et autres travaux communs.
« La collaboration volontaire subsiste : ceux des Etats membres qui voudront aller plus vite que l’agenda prévu pourront le faire », note François Houÿez, directeur de l’information et de l’accès aux traitements d’Eurordis, fédération européenne des associations de patients dans les maladies rares. « En commençant lentement, en ne couvrant d’abord que certains produits, nous aurons ainsi un système solide », prône pour sa part Marcus Guardian, directeur des opérations du réseau européen pour l’évaluation HTA, EUnetHTA, dont l’expérience depuis 2006 a servi de véritable socle à ce nouveau règlement.
Préparation et transparence
Des défis immenses restent encore à relever. « Ce nouveau règlement va changer radicalement nos pratiques, et toutes les agences européennes seront impactées par ce nouveau paradigme », avertit Dominique Le Guludec, présidente du collège de la HAS et vice-présidente depuis septembre dernier du groupe des chefs d’agences (HAG). « Le mot clé est la préparation », insiste Flora Giorgio, chef d’unité à la Direction générale Santé et Sécurité alimentaire de la Commission européenne.
Un volet clé de cette préparation est l’identification en amont des experts qui auront à réaliser ces évaluations communes, avec une attention particulière portée à la transparence quant aux potentiels conflits d’intérêts. Une transparence qui vaudra aussi pour les représentants des associations de malades qui seront également mis à contribution. « Il faudra expliquer le nouveau champ des possibles que ce règlement propose, former les personnes à cette nouvelle activité et les inclure à grande échelle », détaille François Houÿez.
Concilier accélération et risque
Le principal enjeu semble cependant celui de l’adoption d’une méthodologie commune, notamment sur les exigences en matière de conduite des études cliniques, le choix du « comparateur pertinent » ou encore l’attitude à tenir face aux études « monobras ». Dès que ce type de difficulté est envisagé, Pierre Cochat, président de la Commission de la transparence de la HAS, invite les industriels à solliciter des consultations scientifiques en amont de l’évaluation. « Nous ne devons jamais perdre de vue que nous avons l’obligation de soumettre au patient la preuve d’une valeur ajoutée, insiste-t-il. L’enjeu de l’évaluation HTA européenne est bien de concilier l’accélération de l’accès aux produits innovants et une prise de risque… celle-ci devant être minimale pour les patients. »
« Attention à ce que cette nouvelle réglementation devienne bien un moteur d’opportunités et non pas un goulet d’étranglement supplémentaire », s’inquiète Ansgar Hebborn, président du groupe de travail HTA au sein de l’EFPIA, Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques. Celui-ci plaide pour un suivi continu de la mise en œuvre du texte, afin de détecter au plus tôt les failles et de les corriger.
Ansgar Hebborn, président du groupe de travail HTA au sein de l’EFPIA :
« Attention à ce que cette nouvelle réglementation ne devienne pas un goulet d’étranglement supplémentaire.«
Garantir la continuité
En dépit de ces inquiétudes, le sentiment dominant est résolument optimiste. « Je suis heureux qu’avec l’adoption du règlement HTA, nous fassions un pas de plus vers l’Europe de la santé », salue l’eurodéputé allemand Tiemo Wölken, rapporteur du texte devant le Parlement européen à partir de fin 2019. « Ce règlement servira de fil rouge pour le secteur industriel aussi, en donnant plus de cohérence et de visibilité au processus », espère Flora Giorgio. « Nous avons déjà beaucoup travaillé, affirme Dominique Le Guludec, sur la méthodologie, sur les relations avec l’EMA ou encore l’implication des patients et des experts. Ce règlement construit une nouvelle étape pour offrir un accès accéléré et de meilleure qualité aux produits de santé dans toute l’Europe ». La conclusion du symposium a d’ailleurs été partagée avec les responsables des agences HTA de République tchèque et de Suède, pays qui succèderont à la France à la présidence de l’UE, comme un gage de continuité de ces travaux préparatoires.
Julie Wierzbicki