ESMO 2023 : de nouvelles stratégies efficaces contre le cancer du poumon
L’édition 2023 de l’ESMO s’est révélée particulièrement riche dans le champ des cancers du poumon, confirmant la valeur de l’immunothérapie dans les stades précoces et mettant en avant de nouvelles options aux stades avancés ou métastatiques. Le point sur les études les plus marquantes et leurs implications en termes de prise en charge.
« C’est l’année des « abstracts » dans le cancer du poumon ! », s’est enthousiasmée le Pr Silke Gillessen, directrice de l’Institut oncologique de la Suisse italienne, en ouvrant l’édition 2023, qu’elle présidait, du congrès de l’ESMO (European Society for Medical Oncology). L’évènement qui s’est tenu à Madrid du 20 à 24 octobre a rassemblé plus de 30 000 oncologues du monde entier. Sur les 15 présentations de résultats eu ayant les honneurs des trois sessions présidentielles (réservées aux études de phase III les plus « impactantes » pour la pratique médicale), sept ont été dédiées au cancer bronchique dit « non à petites cellules » (NSCLC), le plus fréquent (plus de 80 %) des cancers du poumon. Une effervescence qui reflète bien la révolution médicale à l’œuvre dans cette aire thérapeutique.
« En cinq ans, la survie globale des malades à cinq ans a doublé, passant de 10 à 20 %, tous types de cancer du poumon confondus », rapporte le Pr Nicolas Girard, chef du département d’oncologie médicale de l’Institut Curie. Un progrès qui doit beaucoup à l’arrivée des immunothérapies dites « inhibiteurs de point de contrôle », autorisées depuis plusieurs années dans les stades avancés ou métastatiques et qui montrent aujourd’hui leur efficacité à des stades plus précoces de la maladie.
L’immunothérapie devient incontournable avant la chirurgie
« Lors de ce congrès, on a vu la présentation de quatre études randomisées concordantes montrant l’intérêt d’administrer une immunothérapie avant d’opérer les patients de leur cancer », analyse Nicolas Girard. En amont de la chirurgie (stade néoadjuvant), l’immunothérapie associée à la chimiothérapie réduit de près de 40 % le risque de rechute.
Les nouvelles données de l’étude Keynote-671 en particulier, présentées hors session présidentielle, étaient très attendues : elles démontrent pour la première fois un bénéfice de survie globale en ajoutant un inhibiteur de point de contrôle – en l’occurrence Keytruda® (pembrolizumab) de MSD – à la chimiothérapie avant la résection chirurgicale de la tumeur : avec un suivi médian d’environ trois ans, le risque de décès est réduit de 28 %.
Alors qu’une majorité des patients est encore diagnostiquée au stade avancé ou métastatique, ces résultats confortent la nécessité de promouvoir un dépistage plus précoce. Le Conseil européen a publié en décembre 2022 une recommandation invitant les Etats membres à « étudier la faisabilité et l’efficacité du dépistage par tomodensitométrie à faible dose », avec une attention particulière à « l’identification et au ciblage des profils à risque élevé ». En France, dans le cadre de la stratégie décennale contre le cancer, l’INCa s’est engagée, dès début 2022, dans l’élaboration d’un programme pilote de dépistage organisé des cancers du poumon.
Au stade précoce, des stratégies à affiner
De nouvelles études seront cependant nécessaires pour préciser la stratégie : faudra-t-il encore administrer un traitement après la chirurgie (stade adjuvant) ? une immunothérapie, une chimiothérapie ou une combinaison des deux ? combien de temps ? Les nombreux résultats présentés cette année ne permettent pas encore de trancher, faute de biomarqueur pour prédire quels patients bénéficieraient le mieux de telle ou telle option.
L’étude ALINA, présentée lors de la première session présidentielle, valide en revanche le bénéfice du recours au stade adjuvant à un inhibiteur de tyrosine kinase (ITK), Alecensa® (alectinib de Roche), en monothérapie dans une petite sous-population de patients dont la tumeur porte une mutation Alk (seulement 4 à 5 % des NSCLC), avec une amélioration de 76 % de la survie sans maladie par rapport à la chimio. Même si les données de survie globale sont encore immatures, « on espère un gain assez massif », selon le Pr Jean-Yves Blay, président d’Unicancer, qui évoque même un espoir de guérison pour ce sous-groupe tumoral.
De nouvelles options pour les stades avancés
C’est dans ces cancers avec des altérations oncogéniques spécifiques que les besoins sont les plus criants, en particulier dans les stades avancés ou métastatiques où les immunothérapies sont alors souvent inefficaces. « On stratifie de plus en plus, et de nouvelles études sont nécessaires dans chacun des sous-groupes », explique Nicolas Girard. Plusieurs résultats présentés en session présidentielle traduisent de réelles avancées.
La palme à l’applaudimètre est revenue à l’étude MARIPOSA, évaluant en première ligne de traitement l’association de deux médicaments ciblés de Johnson & Johnson Innovative Medicine, l’anticorps bispécifique (EGFRxMET) Rybrevant® (amivantamab) et l’ITK lazertinib, par rapport à Tagrisso® (autre ITK, d’AstraZeneca), en première ligne de traitement des NSCLC avec mutation de l’EGFR (15 à 40 % des tumeurs). Après un suivi médian de 22 mois, le risque de progression ou de décès se trouve réduit de 30 %. En deuxième ligne (patients en rechute après traitement par Tagrisso®), l’association de ces deux médicaments à la chimiothérapie tend aussi à améliorer la survie sans progression (étude MARIPOSA-2).
Un problème d’accès aux thérapies ciblant des tumeurs rares
L’ajout de Rybrevant® à la chimiothérapie a également montré son intérêt en première ligne métastatique dans une mutation très rare de l’EGFR (insertion dans l’exon 20) : les résultats de l’étude PAPILLON révèlent à 18 mois un taux de survie sans progression de 31 %, contre 3 % avec la chimio seule. Une autre molécule, Retsevmo® (selpercatinib, de Lilly), ciblant les altérations de RET, elles aussi très rares (moins de 1 % des cancers bronchiques) a permis, utilisée en première ligne dans l’étude LIBRETTO-431, de doubler la survie sans progression par rapport à l’association Keytruda® plus chimiothérapie. Autorisé dans 44 pays, cette molécule n’est pour l’instant remboursée que dans 20 d’entre eux – et pas en France, les régulateurs demandant une étude randomisée. Agréé aux collectivités, mais sans inscription sur la liste en sus faute de SMR suffisant, Rybrevant® n’est pas non plus disponible en France. Nicolas Girard espère que ces nouvelles études entraîneront rapidement une réévaluation permettant leur inscription.
Invité à commenter ces résultats en session présidentielle, le Pr Benjamin Besse, directeur de la recherche clinique de Gustave Roussy, a exhorté les parties prenantes à « trouver ensemble une solution » – y compris le recours à des contrôles synthétiques – pour éviter des pertes de chance dans les études randomisées où le comparateur est peu efficace.
Julie Wierzbicki