L’ASCO 2022 confirme le positionnement des anticorps conjugués dans le cancer du sein
Alors qu’Enhertu® s’impose en session plénière comme futur nouveau standard de traitement dans les cancers du sein métastatiques non-éligibles aux anti-HER2, Trodelvy® confirme son efficacité dans les cancers « triple négatifs ».
Une standing ovation a salué dimanche 5 juin à Chicago la présentation des résultats de l’étude DESTINY-Breast04 en session plénière du congrès annuel de l’American Society of clinical oncology (ASCO). Pour la première fois était démontrée en phase III (plus de 550 patientes randomisées) l’efficacité d’un anticorps anti-HER2 (le trastuzumab) conjugué à une molécule cytotoxique (le deruxtecan) chez une population de patientes atteintes d’un cancer du sein ne présentant qu’une faible surexpression du récepteur HER2. Pour ces patientes (plus de 60 % des cas de cancer du sein) non éligibles à une thérapie ciblée anti-HER2 conventionnelle, le traitement standard au stade métastatique est la chimiothérapie.
Enhertu® (T-DXd), codéveloppé et commercialisé par Daiichi-Sankyo et AstraZeneca, agit pour sa part comme un « cheval de Troie ». « L’anticorps n’est pas là pour éteindre une voie de signalisation mais pour adresser la chimiothérapie aux cellules cancéreuses », explique l’un des co-investigateurs de l’étude, le Pr William Jacot, du département d’oncologie médicale de l’Institut du cancer de Montpellier.
Une nouvelle population cible
Les résultats, publiés le jour même dans le New England Journal of Medicine, sont sans appel : administré en 2e ligne de traitement d’un cancer du sein métastatique HER2 faible avec expression des récepteurs hormonaux (HR+), T-DXd permet un presque doublement de la médiane de survie sans progression (à 10,1 mois) et augmente de 6,4 mois la médiane de survie globale (à 23,9 mois) par rapport à une chimiothérapie choisie par le médecin.
De façon plus exploratoire, l’étude a aussi examiné le cas d’une sous-population de patientes avec une tumeur HER2 faible et sans expression des récepteurs hormonaux (HR-), avec là aussi un net avantage d’Enhertu® sur la chimiothérapie (médiane de survie sans progression quasi triplée à 8,5 mois et de survie globale plus que doublée à 18,2 mois). « Cette étude établit les patientes avec un cancer du sein métastatique HER2 faible comme nouvelle population cible, avec T-DXd comme nouveau standard de traitement », a assuré Shanu Modi, du Memorial Sloan Kettering Cancer Center, investigatrice principale de DESTINY-Breast04, en présentant ces résultats.
Des perspectives et des interrogations
Selon William Jacot, l’arrivée de ce traitement ne devrait guère changer les habitudes des anatomopathologistes en France, les tests actuellement utilisés permettant déjà de discriminer ces faibles surexpressions. Les toxicités spécifiques d’Enhertu®, déjà bien connues, inquiètent davantage, notamment les pneumopathies interstitielles, survenues au cours des différents essais chez 10 à 15 % des patients. Généralement peu graves et ne nécessitant qu’un ajustement de dosage, elles peuvent parfois conduire à une hospitalisation et trois décès liés sont à déplorer au cours de Breast04. « Mais ces effets secondaires sont totalement écrasés par l’efficacité de ce très bon traitement », assure le Dr Esma Saada-Bouzid, oncologue médicale au Centre Antoine Lacassagne à Nice, intervenant lors d’un point presse organisé par Unicancer.
La question se posera également à court terme du choix de traitement pour les patientes jusqu’ici catégorisées « triple négatives » (HER2- /HR-) mais en réalité HER2 faible /HR-. Un autre anticorps conjugué, Trodelvy® (sacituzumab govitecan) de Gilead, ciblant non pas HER2 mais Trop-2, a récemment été approuvé en 3e ligne ou plus de traitement des cancers du seins triple négatifs métastatiques. A ce stade, le Pr Jacot indique qu’il privilégiera cette thérapie chez les patientes HER2 faible/ HR-, les données d’Enhertu® sur cette sous-population étant encore selon lui « trop exploratoires ».
Les développements s’accélèrent
Outre les données de DESTINY-Breast04 et les résultats finaux confirmatoires de l’étude de phase III ASCENT, ayant abouti à l’AMM de Trodelvy®, une autre étude de phase III portant sur cet anticorps conjugué, TROPiCS-02, a vu ses données d’analyse primaire dévoilées à l’ASCO. Elles montrent selon le Pr Jean-Yves Blay, président d’Unicancer, un « signal sans équivoque » d’amélioration de la survie sans progression, même si de relativement faible amplitude, chez des patientes HR+ / HER2- au stade métastatique et très lourdement pré-traitées.
Enfin, ont été présentées à Chicago deux essais plus précoces (respectivement de phase I/II et de phase I) d’un autre candidat de Daiichi Sankyo, le patrimumab-deruxtecan (HER3-DxD) dans divers sous-types de cancers du sein métastatiques exprimant HER3 et dans le cancer du poumon non à petites cellules avancé sans mutation de l’EGFR. « Les anticorps conjugués à des cytotoxiques se développent à grande vitesse, avec des cibles qui se multiplient », observe avec satisfaction le Pr Blay, qui place la confirmation de l’efficacité de ces thérapies comme « information principale » à retenir de cette édition 2022 de l’ASCO.
Selon le rapport Global Oncology Trends de l’Institut IQVIA (mai 2022), une quinzaine d’anticorps conjugués a été approuvée par la FDA dans au moins une indication en oncologie, dont plus de la moitié dans des cancers hématologiques. Enhertu®, Trodelvy®, ainsi que Kadcyla® (trastuzumab-emtansine) de Roche, sont les seuls autorisés à ce jour dans le cancer du sein. Des anticorps conjugués visant une cinquantaine de cibles sont actuellement en développement dans 78 indications, dont 14 ciblant HER2 et 6 Trop-2.
Julie Wierzbicki