Données de vie réelle en cancérologie : un potentiel encore sous-exploité
La première journée d’échange organisée par la Filière intelligence artificielle et cancer a mis en lumière toutes les promesses et les difficultés à exploiter pleinement tout le potentiel des données de vie réelle en cancérologie, illustré par les différents programmes portés par ses industriels co-fondateurs dans le champ de l’accès précoce ou de l’amélioration des parcours de soins.
« Notre démarche répond pleinement aux besoins d’un écosystème en train de se constituer ». Marco Fiorini, directeur général de la Filière intelligence artificielle et cancer (FIAC), se félicite du succès rencontré par la première « journée d’échanges » organisée par l’association le 31 janvier dernier dans les locaux de PariSantéCampus. Officiellement co-fondée, en août 2021, par sept grands industriels pharmaceutiques – aujourd’hui neuf (1) – ainsi que l’Institut national du cancer (INCa), l’Ariis (2), le Health Data Hub et France Biotech, la FIAC focalise son action sur la réutilisation des données en cancérologie, en partant des besoins exprimés par les acteurs de la filière. L’Agence de l’Innovation en Santé a rejoint en décembre dernier son conseil d’administration. « L’ambition de la FIAC est de contribuer à l’optimisation de l’usage de la donnée, pour accélérer la proposition de solutions nouvelles pour les patients et créer un écosystème attractif, rappelle son président Frédéric Collet. Pour y parvenir, nous encourageons les acteurs à travailler ensemble et nous leur proposons une méthode. C’est vraiment toute une communauté qui est en train d’émerger, dans un environnement encore assez immature, avec un foisonnement de sujets ! »
L’appariement des bases de données : un enjeu clé
Si l’IA a été relativement peu évoquée en tant que telle au cours de cet évènement, consacré aux espoirs portés par les données de vie réelle en cancérologie, l’enjeu des appariements des bases de données est clairement ressorti dans la majorité des interventions. Il est d’ailleurs au cœur de chacun des douze projets pilotes collaboratifs conduits par les industriels fondateurs « Ils constitueront une expérience commune qui sera partagée avec les partenaires actuels et ceux qui nous rejoindront à l’avenir », assure Frédéric Collet.
L’INCa s’est justement donné pour mission de construire une Plateforme des données en cancérologie. Outre une extraction du Système national des données de santé (SNDS) – la cohorte cancer constituée progressivement par l’INCa depuis 2011 et incluant aujourd’hui les données de près de neuf millions de personnes – elle intègre les données issues des registres épidémiologiques des cancers et des centres régionaux de coordination des dépistages, et depuis 2023, les données des dossiers communicants, notamment les fiches de réunions de concertation pluridisciplinaires. La plateforme est hébergée dans un environnement souverain, permettant d’accueillir tout type de données dans le périmètre des autorisations accordées par la Cnil. Conduit dans le cadre de la FIAC, le projet BACK-GAMMON porté par Novartis vise à enrichir cette plateforme des données d’examens de génétique moléculaire dans certaines formes de cancer du poumon.
Mieux exploiter les données d’accès précoce
Les données récoltées dans le cadre d’une autorisation d’accès précoce (AP) présentent aussi un intérêt particulier, en tant que « premières données de vie réelle pour des médicaments encore jamais mis à disposition en France dans ces indications », relève Camille Thomassin, responsable de la cellule de coordination des données en vie réelle de la HAS. Ces données d’AP sont souvent incomplètes ou de qualité insuffisante, faute notamment de personnels dédiés comme il en existe pour les essais cliniques.
« Aller vers un recueil automatisé des données dans tous les centres de soins, qu’ils soient publics ou privés, est un rêve fou qui pourrait devenir réalité, grâce à une standardisation et une simplification des PUT-RD (protocoles d’utilisation thérapeutique et de recueil des données) », estime Nicolas Ozan, directeur médical onco-hématologie d’AstraZeneca France. Selon lui, un seul opérateur ne suffira pas à relever ce défi, mais les solutions développées devront être interopérables. « Ces technologies sont en train d’émerger : elles devront pouvoir être déployées au niveau national, voire européen », complète Nathalie Varoqueaux, directrice médicale d’Amgen France. Les deux laboratoires conduisent chacun un projet portant sur des méthodologies d’appariement de ces données d’AP avec la base SNDS de la plateforme de l’INCa, dans le cancer du poumon. Les premiers résultats du projet d’AstraZeneca, plus avancé, seront repris dans un résumé qui doit être soumis courant février à l’ASCO en vue de son prochain congrès annuel.
Des atouts pour la recherche et le soin courant
Un autre potentiel d’exploitation des données de santé, exploré par les partenaires de la FIAC, est celui de l’amélioration des parcours de soins. Le projet porté par Bristol Myers Squibb vise à évaluer en soins courants le recours à des questionnaires de qualité de vie structurés, tels ceux proposés lors des phases III d’essais cliniques. Côté Pfizer ou MSD, les travaux portent sur la description et la compréhension des parcours de santé et leurs éventuelles ruptures, respectivement dans le cancer de la prostate et du poumon. « La première étape est de se doter d’un langage commun sur la définition des parcours et des ruptures, pour ensuite pouvoir les cibler : pourquoi pas en orientant les appels à projets de Bpifrance en direction des sociétés technologiques aptes à développer des solutions ? », propose Marco Fiorini.
Les différentes interventions de la journée ont mis en lumière d’autres enjeux liés aux usages des données de vie réelle, comme les bras contrôles synthétiques dans les essais cliniques. Spécialiste de ce sujet et déjà partenaire de plusieurs co-fondateurs de la FIAC, la société française NovaDiscovery viendra présenter ses solutions aux membres de l’association mi-février. Ce nouveau format « d’atelier d’innovation », qui aura lieu trois à quatre fois par an, vise à « exposer aux industriels des outils qui fonctionnent déjà, avec des résultats concrets », explique Robert Chu, CEO d’Embleema et président du comité des partenaires de la FIAC.
Entre délivrance des premiers résultats des projets pilotes et pistes de réflexion sur des enjeux plus sociétaux lancées par les parties prenantes, le programme de la jeune association pour 2024 s’annonce aussi chargé qu’enthousiasmant.
Julie Wierzbicki
(1) Amgen, AstraZeneca, J&J Innovative Medicine, MSD France, Novartis, Pfizer, Pierre Fabre, Bristol Myers Squibb, Roche Diagnostics
(2) Alliance pour la recherche et l’innovation des industries de santé