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La résistance aux antimicrobiens au sommet des menaces sanitaires

La 79e Assemblée générale de l’ONU a mis à l’honneur la thématique de la résistance aux antimicrobiens (AMR) en tant que « menace majeure mondiale ». Une déclaration politique d’envergure a été adoptée par tous les Etats à l’occasion d’une réunion de haut niveau. Concomitamment, la France a publié sa nouvelle feuille de route décennale, interministérielle et multisectorielle. Au niveau européen, la lutte contre l’AMR, affichée comme une priorité, pourrait cependant pâtir d’une relégation des thématiques santé au second plan.

La résistance aux antimicrobiens (AMR) (1) a été le principal enjeu de santé mis en lumière à l’occasion de la 79e session de l’assemblée générale des Nations Unies, qui s’est tenue cette semaine au siège de l’organisation à New York. Si le phénomène est depuis longtemps érigé au rang de « menace de santé majeure » au niveau mondial, ce constat s’est jusqu’à présent accompagné d’une certaine inertie. « Cela fait très longtemps que l’on évoque les « superbactéries » comme la prochaine pandémie, constate Jean-Pierre Paccaud, co-fondateur en 2016 du Global Antibiotic R&D Partnership (GARDP). Or pour l’instant dans la majorité des cas dans les pays à hauts revenus, la plupart des antibiotiques disponibles continue à bien fonctionner. La situation me semble similaire à la crise climatique. Pour cette dernière il a fallu 50 ans d’alertes – et une accélération des épisodes critiques ces dernières années – avant que le pouvoir politique ne s’en empare. On est en train de prendre le même retard avec la résistance aux antimicrobiens. »
Les estimations publiées ce mois-ci dans The Lancet ont pourtant de quoi alarmer : si rien n’est fait, l’AMR pourrait causer plus de 39 millions de décès d’ici à 2050. Sans compter quelques trillions de dollars de pertes de PIB par an annoncés à horizon 2030, comme l’ont mentionné plusieurs orateurs à l’ONU…

« L’AMR peut empêcher l’atteinte de plusieurs des objectifs de développement durable de l’Agenda 2030 de l’ONU, a souligné Philemon Yang, le président de la 79e Assemblée générale, en ouverture de la réunion de haut niveau organisée le 26 septembre. Nous ne pouvons pas nous permettre d’échouer, ni laisser personne de côté ».

Une déclaration politique aux ambitions inédites

Cette réunion de haut niveau – la deuxième sur ce sujet après celle de 2016 – s’est ouverte sur l’adoption d’une « déclaration politique » reflétant une vision commune des Etats membres de l’ONU, avec lesquels le texte a été négocié en amont. « Je considère cette déclaration comme un plan directeur solide pour accélérer les actions de lutte contre l’AMR, affirme Philemon Yang. Il importe de la traduire en mesures concrètes, avec l’appui de l’alliance quadripartite (2). » Ce programme engage les Etats à mettre en œuvre de multiples actions, dans le champ de la gouvernance, du financement, de l’accès aux antimicrobiens, diagnostics et vaccins, de la coordination de la réponse multisectorielle, de la R&D, de la formation et de la production, de la surveillance et du suivi, en privilégiant toujours une approche One Health.
Selon Céline Pulcini, professeur de maladies infectieuses et tropicales à l’Université de Lorraine et au CHRU de Nancy, ex-cheffe de la mission ministérielle de prévention des infections et de l’antibiorésistance au ministère de la Santé, cette déclaration ne contient « rien de vraiment très innovant. Mais elle affiche un engagement chiffré des Etats à augmenter le financement et une ambition assez inédite, du moins sur le volet de la santé humaine, avec des objectifs chiffrés à atteindre à l’horizon 2030 ». Parmi les plus notables figure la réduction de 10 % (par rapport aux 4,95 M estimés en 2019) du nombre de décès associés à la résistance bactérienne aux antimicrobiens. « En revanche côté santé animale, la déclaration reste très frileuse quant à l’utilisation des antibiotiques comme facteurs de croissance, alors qu’ils sont interdits dans l’Union européenne depuis 2006 », déplore-t-elle.
« La déclaration politique souligne le rôle primordial du secteur privé pour trouver des solutions de lutte pérennes contre l’antibiorésistance et encourage également les efforts pour rendre le business model des antimicrobiens à nouveau viable (3), applaudit Frédéric Peyrane, secrétaire général de Beam Alliance, hub européen des biotechs qui innovent dans le champ de l’AMR. Même si l’effort financier sera vraisemblablement porté par les pays riches, les retombées se ressentiront à l’échelle du globe. Surtout, le texte alerte sur l’hémorragie de talents dans le secteur et appelle à des actions fortes pour rebâtir une communauté scientifique attractive et vivante : c’est probablement notre meilleure assurance-vie contre l’antibiorésistance pour le siècle à venir ! Mais au-delà des mots, il faut que les Etats membres prennent le sujet à bras le corps. »

Le financement, toujours le nerf de la guerre

Comme après la réunion de 2016, l’inconnue réside dans la réalisation effective des actions préconisées. « L’OMS a incité tous les pays à disposer d’une stratégie nationale contre la résistance aux antimicrobiens. La grande majorité des Etats s’y sont pliés, mais moins d’un tiers de ces plans nationaux se sont vu allouer un budget ! observe Chantal Morel, économiste de la Santé à l’Université de Berne. Cela montre que pour la majorité des gouvernements, cette question n’apparaît pas comme prioritaire par rapport à d’autres sujets de préoccupation ».
Présentés le 10 septembre dernier lors d’un webinaire quadripartite, les résultats de l’enquête du TrACSS (4), montrent que si 170 pays (contre seulement 67 en 2017) disposent aujourd’hui d’un plan d’action national multisectoriel de lutte contre l’AMR, la moitié seulement bénéficie d’une coordination fonctionnelle. Et 16 pays n’ont toujours aucun plan, ni effectif ni en développement.

« La voie à suivre est claire, mais les pays se heurtent à des obstacles, notamment financiers, pour la mise en œuvre », a souligné Amina Mohammed, vice-secrétaire générale de l’ONU et présidente du groupe développement durable, lors de la réunion de haut-niveau.

Selon la déclaration politique, 100 M$, provenant de diverses sources de financement, devraient être consacrés à atteindre un objectif de 60 % de pays avec un plan national budgétisé. D’ici 2026, les organisations quadripartites auront à mettre à jour le Global Action Plan on AMR (adopté par l’Assemblée mondiale de la santé en 2015), et devront publier un rapport biennal sur les progrès réalisés.
Une nouvelle réunion de haut niveau de l’ONU est d’ores et déjà annoncée pour 2029.

La France se dote d’une nouvelle feuille de route décennale

La France s’est mobilisée très tôt, avec le lancement dès 2002 d’un premier plan pour « préserver l’efficacité des antibiotiques ». Lors de cette 79e Assemblée générale, par la voix de la direction des Affaires européennes internationales (DAEI), le gouvernement français a notamment plaidé pour une plus forte sensibilisation du public et formation des professionnels de toutes les santés. Elle a aussi souligné la nécessité d’investir dans la R&D et l’accès équitable aux antimicrobiens en soutenant des initiatives internationales comme GARDP et l’Initiative de programmation conjointe sur la résistance aux antimicrobiens JPIAMR. Elle a enfin insisté sur l’importance de la coopération multisectorielle et multiniveau. A l’échelon français, ce pilotage s’illustre pleinement dans la nouvelle feuille de route interministérielle pour 2024-2034, publiée ce mois de septembre, avant la nomination du nouveau gouvernement Barnier.

En France, depuis plus de vingt ans, les plans et stratégies pluriannuelles se sont succédés, d’abord centrés sur les antibiotiques et la santé humaine, avant de s’élargir à la résistance aux antimicrobiens, dans une approche Une seule santé.

Celle-ci élargit la problématique de l’antibiorésistance en santé humaine à celle de l’AMR dans une approche One Health. Elle se décline en cinq volets : engagement des acteurs, développement de la recherche, renforcement de la coordination des outils de surveillance intégrée, préservation et optimisation de l’utilisation de l’arsenal de produits existants et innovation, affirmation de la position de la France à l’Europe et à l’international. Chacun des 17 objectifs est assorti d’indicateurs de suivi, avec une première évaluation prévue à cinq ans. « Les travaux de mise en œuvre vont démarrer au niveau interministériel au mois d’octobre, précise la Direction générale de la santé. Le choix des actions prioritaires retenues pour la première année, et des budgets qui y seront associés, feront l’objet d’un arbitrage interministériel. La lutte contre l’AMR est l’affaire de tous, et implique de mettre œuvre des actions intersectorielles nécessaires pour intensifier la politique de la France. »

Incertitudes sur la pérennité des actions européennes

L’AMR figure également de longue date parmi les préoccupations des instances européennes : celles-ci se sont notamment traduites par un premier plan d’action quinquennal lancé en 2011, suivi par le Plan d’action One Health de l’UE contre l’AMR en 2017. La Recommandation du Conseil de l’UE du 13 juin 2023 (qui n’est pas légalement contraignante) a fixé de nouveaux objectifs à horizon 2030, parmi lesquels une réduction – par rapport aux chiffres de 2019 – de 20 % de la consommation totale d’antibiotiques chez l’humain et de 50 % des ventes totales d’antimicrobiens utilisés dans l’UE pour les animaux d’élevage et l’aquaculture.
La lettre de mission adressée le 17 septembre à Olivér Várhelyi (Hongrie), proposé comme nouveau commissaire à la santé, par la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen, intègre ces enjeux, avec le souhait de « continuer à construire sur l’approche One Health » et « poursuivre le travail sur la résistance aux antimicrobiens, une des menaces majeures pour la santé, en travaillant avec les Etats membres pour atteindre les objectifs pour 2030 ». Mais la pérennité des financements est loin d’être assurée : plusieurs des actions en cours sont en effet soutenues par le programme EU4Health (2021-2027), dont le budget a été réduit de 20 % début 2024, et dont l’avenir semble incertain.

Julie Wierzbicki

Copyright photos : UN Photo / Laura Jarriel

(1) Selon la définition de l’OMS : résistance des micro-organismes bactériens, viraux, parasitaires et fongiques aux médicaments antimicrobiens qui étaient auparavant efficaces pour le traitement des infections
(2) L’alliance quadripartite est composée de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), de l’OMSA (Organisation mondiale de la santé animale – anciennement OIE : office international des épizooties), de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) et du PNUE (Programme des Nations Unies pour l’environnement)
(3) Le numéro de septembre de Pharmaceutiques consacre une enquête aux enjeux du modèle économique des antimicrobiens
(4) Tracking Antimicrobial Resistance Country Self-Assessment Survey – TrACSS

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